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vendredi, avril 26, 2024

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Gestion des ressources halieutiques au Maroc et modes d’accès: Le modèle des «Anti-Commons» et la pêcherie poulpière

MÉTHODOLOGIE DE TRAVAIL

Le cadre théorique

Le corpus théorique qui sera mobilisé s’appuie sur les théories néoclassiques de l’économie institutionnelle, en particulier l’économie du droit et des choix publics appliquées aux ressources communes, ainsi que les théories liées aux coûts et aux profits. La théorie récente des «anti-commons» sera également utilisée à travers le modèle des «anti-commons».

Modèle des »anti-commons«

Les politiques de gestion de ces ressources font intervenir plusieurs acteurs économiques publics et privés. Les interdépendances entre ces acteurs et les interférences de leurs activités entraîneraient des coûts privés et sociaux élevés en absence ou insuffisance de coordination conduisant ainsi à la défaillance des marchés. Les problèmes liés aux «anti-commons» seraient parmi les causes de cette situation. Les «anti-commons» sont caractérisés par la fragmentation des décisions, le renchérissement et l’inefficience de l’utilisation des ressources.

Afin d’élucider les effets des «anti-commons» en relation avec l’imperfection des marchés et leurs implications en matière de gouvernance des ressources halieutiques, nous adoptons dans cette étude, le modèle des «anti-commons» développé par Driouchi et Malki (2011). Ce modèle met en exergue l’existence des problèmes liés aux «anti-commons» dans le cas du marché oligopolistique.

C’est un modèle théorique simplifié qui intègre différentes structures de marché et plusieurs agents ayant droits d’exclusion. Ce modèle théorique suppose la linéarité de la fonction de demande inverse agrégée des biens et services.

Selon Driouchi et Malki (2011), la demande inverse est exprimée par la formule suivante:

P=α-βY

 Où:  P: prix      et       Y: quantités

α: intersection avec l’ axe des ordonnées et β: coefficient positif

Les agents se comportent de manière à maximiser leurs profits sous la condition des coûts de production nuls (π=PY). Les conditions du premier ordre du problème de maximisation du profit (π’=0) permettraient de déterminer les solutions optimales des prix, P*, et des quantités, Y*. Les auteurs ont considéré quatre structures de marché sous la situation des «anti-commons» (nombre d’agents allant de 1 à n), en l’occurrence: La compétition parfaite, le monopole, le duopole et l’oligopole (Tableau 2).

Ce modèle des «anti-commons» avec ‘n’ agents montre les résultats attendus d’une situation des «anti-commons». En effet, l’existence de plusieurs opérateurs (Nombre très élevé) avec chacun possédant un droit d’exclusion vis-à-vis des autres opérateurs, entraîne une sous-utilisation des ressources (Y tend vers zéro) avec des coûts ou des prix très élevés (Driouchi et Malki, 2011). Dans la situation des «anti-commons» le comportement d’optimisation des opérateurs se fait moyennant le choix des prix.

Les problèmes liés aux «anti-commons» ont été étudiés dans plusieurs domaines, notamment dans l’agriculture, la santé, la biotechnologie, la création des entreprises, les médias et la pêche.

La structure d’oligopole est susceptible de manifester les effets des «anti-commons» lorsque le nombre des droits d’exclusion est élevé. L’imperfection des marchés dans ce cas renseigne sur l’existence des «anti-commons» et la nécessité d’une meilleure coordination. Les coûts implicites, privés et sociaux, seraient élevés et les quantités produites tendraient vers zéro.

Équations d’offre et de demande et pouvoir de marché

Supposons que le comportement des opérateurs de pêche serait de minimiser leur fonction de coûts de production, C(Y,wi ), sous la contrainte d’un niveau de production donné,Y(P,wi ), en utilisant n inputs xi, avec i=1,…,n (problème dual du producteur). P représente le prix de l’output Y et wi le prix de l’input xi. Selon le Lemme de Shephard, les demandes d’inputs x_i sont représentées par l’équation suivante:

xi=(∂C(Y,wi))/(∂wi )

Considérons aussi que ces opérateurs de pêche produisent un output homogène Y(P,w_i ) et fixent comme objectif la maximisation de leurs profits:

π=P(Y)*Y(P,wi)-C(Y,wi)

Sous la condition d’oligopole, les conditions d’optimalité du comportement de maximisation permet de déduire la relation entre le prix et le coût marginal:

P= 1/(1-θ⁄η)(∂C(Y,wi)⁄∂Y)

P représente l’équation de l’offre de l’output θ désigne l’élasticité de la variation conjecturale et est l’élasticité prix de la demande d’output. Nous supposons θ fixe et égale pour tous les opérateurs de chaque segment (à l’intérieur de la même catégorie des opérateurs). Elle est utilisée dans le but de tester l’existence du pouvoir de marché. θ=0, dans le cas de marché en concurrence parfaite impliquant l’égalité du prix au coût marginal et θ=1, dans le cas du monopole. Les valeurs entre 0 et 1 correspondent à la situation d’oligopole.

La demande d’output est supposée être une fonction de demande marshallienne Q=Q(P,Z,R) qui dépend du prix de l’output, P, du prix des biens de substitution, Z, et du revenu, R.

La combinaison de la fonction d’offre avec la fonction de demande permet de connaître le niveau de compétitivité d’un marché. La réaction de l’offre à un changement de la demande dépendra de la structure du marché. L’estimation de certains paramètres des équations de demande et d’offre nécessiterait l’introduction d’autres équations. C’est pourquoi nous avons intégré le système des équations relatives aux demandes des inputs. Donc le système final à estimer sera constitué des équations suivantes:

xi=∂C(Y,wi)/∂wi ; i=1,…,n

P=1/(1-θ⁄η) x ∂C(Y,wi)⁄∂Y

Q=Q(P,Z,R)

Le modèle empirique à estimer

Afin de pouvoir tester l’existence des «anti-commons» dans le secteur des pêches, nous avons pris comme exemple la pêcherie poulpière au Maroc. Pour cela, nous avons réalisé un test sur la structure de marché du poulpe. Nous pensons que l’imperfection au niveau du marché confirmerait l’existence des «anti-commons» que nous pouvons mettre en exergue à travers l’estimation du pouvoir d’oligopole exercé par les opérateurs de pêche.

Le pouvoir de marché peut être évalué moyennant l’estimation de l’indice de Lerner et l’élasticité de la variation conjecturale. Cette dernière traduit la réaction du marché anticipée par un opérateur lorsque ce dernier augmente la quantité du bien qu’il produit, tandis que l’indice de Lerner, il renseigne sur l’existence du pouvoir d’oligopole et donc permet de caractériser la structure du marché.

La forme fonctionnelle retenue pour la fonction de coût est la forme flexible Translog représentée par la fonction logarithmique suivante:

lnC(wi,Yk)=α0+∑αi lnwi + ∑γk lnYk +1/2 ∑∑αij lnwi lnwj

+ 1/2 ∑∑γkl lnYk lnYl + 1/2 ∑∑βik lnwi lnYk

C(wi,Yk) désigne la fonction de coût exprimée en fonction des prix des inputs wi (i=K pour Capital, L pour Travail, E pour Carburant et M pour Consommations intermédiaires) et des quantités des outputs Yk (k=O pour Poulpe et F pour poissons associés), α0ik,αij,γkl et βik sont les paramètres de la fonction de coût Translog. Nous avons retenu cette fonction puisqu’elle permet de dériver directement les parts d’inputs demandées, elle impose relativement peu de contraintes sur les niveaux d’élasticité et de rendements d’échelle et incorpore suffisamment de paramètres pour prendre en compte les interactions entre les variables et la non linéarité dans ces paramètres (Bjorndal et Gordon, 2000 et Weninger, 1998).

Les restrictions suivantes sont imposées à la fonction de coût de telle sorte qu’elle respecte les conditions de concavité, de monotonie et de degré d’homogénéité égale à un:

  ∑iαi =1, αijji, ∑jαij =0, ∑_kβik =0 , βikkikllk

Dans le cas de la fonction Translog, les demandes conditionnelles des inputs ne sont pas linéaires par rapport aux prix, mais les parts des inputs demandés le sont. Elles sont représentées par les équations Si (wi,Yk ) suivantes:

Si (wi,Yk)=∂lnC(wi,Yk)/(∂lnwi)=αi+∑αij lnwj+ ∑βik lnYk

Les armateurs de la pêche minimisent les coûts de leurs bateaux sous la contrainte de leurs niveaux de production. Ils sont également des price-takers et sont confrontés aux prix du marché du poulpe. A l’équilibre, ces prix sont liés aux quantités par les équations d’offre et de demande suivantes:

Équation de l’offre liant le prix et le coût marginal avec l’indice de Lerner:

 P= C/Y1111 lnY112lnY211lnw121lnw231lnw341lnw4])⁄(1+θ⁄η)

P est le prix du poulpe, θ est l’élasticité de la variation conjecturale et est l’élasticité prix de la demande d’output. désigne le coût de production.

L’équation de demande d’output est de la forme Cobb-Douglas représentée par:

  Ln(Q)=τ+ρ ln(P⁄CPI)+δ ln(CPIF)+φ ln(GDP)

Q représente la quantité de poulpe demandée par le Japon, premier importateur du Maroc, CPI est l’indice de prix à la consommation du Japon, CPIF est l’indice de prix à la consommation des poissons comme estimation des produits de substitution et GDP est le produit intérieur brut du Japon représentant le niveau des dépenses des consommateurs japonais.

Opérateurs de la pêcherie poulpière et variables retenues

Dans la pêcherie poulpière, Il y a trois types d’opérateurs distincts: Hauturiers, côtiers et artisanaux. Les sociétés d’armateurs hauturiers utilisent des bateaux chalutiers congélateurs à grande capacité (>150 TGB, Tonnage Jauge Brute), les côtiers utilisent des bateaux chalutiers à capacité moyenne (entre 10 et 150 TGB) et les artisanaux utilisent des petites barques à 2 TGB de capacité et des unités de congélation à terre.

Ces trois catégories d’opérateurs ont ainsi des structures de coûts très différentes. Pour cette raison, chaque catégorie est traitée à part dans le but de tester le pouvoir de marché. Nous avons pour cela retenu les coûts fixes et variables suivants: les coûts fixes liés au capital investi (bateau, moteur, engins de pêche et matériel de navigation) et ceux liés au travail (Équipage en nombre de marins, rémunérés soit par salaires ou par des parts fixes du revenu du bateau). Les coûts variables sont constitués des charges de carburant consommé par bateau, charges variant avec la durée de marée (Jours de pêche) en particulier les dépenses en entretien (moteur et engins) et en vivres et des charges variant avec le niveau des captures notamment l’emballage, petit matériel, glace, etc.

L’activité de pêche au poulpe est réalisée durant deux saisons de pêche. Les opérateurs de la pêche hauturière vendent leur produit directement dans le marché international (Japon et Europe). Les opérateurs de la pêche côtière et artisanale vendent leurs produits frais, au niveau des marchés nationaux (Halles gérées par l’Office National de Pêche, ONP), aux unités de congélation (en nombre de 43) installées à terre qui se chargent de la congélation de ces produits pour les revendre dans le marché international (Japon et Europe).

Données utilisées

Dans le but de tester l’imperfection du marché en relation avec les «anti-commons», l’hypothèse de départ à tester est l’égalité de l’élasticité de la variation conjecturale à zéro:

H0: θ=0

La vérification de cette hypothèse implique l’imperfection du marché ce qui confirmera la prévalence des «anti-commons» dans la pêcherie poulpière.

Considérons aussi pour chacun des trois segments de la pêcherie poulpière, quatre principaux inputs (i=K,L,E,M), qui sont le Capital (K), le Travail (L), l’Énergie (E) et les Consommations intermédiaires hors énergie (M) pour produire deux catégories d’output (k=O,F): le Poulpe (O) et le groupe des poissons associés (F).

Afin d’éviter la singularité de la matrice de variance-covariance (non inversibilité), une équation des demandes des inputs de production a été éliminée. Nous avons choisi d’éliminer l’équation des consommations intermédiaires hors énergie (M). Les résultats de l’estimation sont indépendants de l’équation éliminée (Christensen et Greene, 1976). En introduisant les différentes restrictions concernant la fonction de coût Translog, nous aurons à estimer le système de cinq équations suivant (Reynès et Yeddir-Tamsamani, 2009):

SKKKK(lnwK-lnwM )+αKL(lnwL-lnwM)+αKE (lnwE-lnwM)+βKO(lnYO-lnYF)

SLLKL(lnwK-lnwM)+αLL(lnwL-lnwM)+αLE(lnwE-lnwM)-βKO(lnYO-lnYF)

SEEKE(lnwK-lnwM)+αLE(lnwL-lnwM)+αEE(lnwE-lnwM)+βEO(lnYO-lnYF)

P=(C/Yo[γOKO(lnwK-lnwL)+βEOlnwEMOlnwMOOlnYOOFlnYF ])⁄(1+θ/ρ)

Ln(Q)=τ+ρ ln(P/CPI)+δ ln(CPIF)+φ ln(GDP) )

Pour résoudre ce système d’équation, nous avons utilisé la méthode Seemingly Unrelated Regression (SUR) ayant l’avantage de prendre en considération les interdépendances entre les résidus des équations non linéaires estimées simultanément.

L’indice de Lerner est estimé à partir de l’équation de l’offre qui lie le prix de l’output au coût marginal. Cet indice est égal au rapport entre l’élasticité de la variation conjecturale et l’élasticité prix de la demande de l’output. La valeur estimée de l’élasticité de la variation conjecturale, θ, permet de déterminer la structure de marché et de mettre en relief le pouvoir de marché des armateurs, confirmant ainsi l’existence des «anti-commons». Ce test sera conduit pour les trois segments de la pêcherie poulpière.

Les données relatives aux quantités et au prix du poulpe sont publiées dans les rapports annuels des administrations chargées de la gestion des activités de la pêche. Il s’agit notamment de: La Mer en Chiffres, les Rapports d’Activité et les rapports de la commission de veille biologique ainsi que les statistiques publiés dans le site web du Département des Pêches Maritimes (www.mpm.gov.ma), ainsi que les Rapports Statistiques sur la pêche côtière et artisanale au Maroc publiés par l’Office National des Pêches (www.onp.ma). Ces données sont également disponibles à l’échelle mensuelle dans les rapports de la FAO (Globefish Commodity Update, Cephalopods, FAO). Les prix sont enregistrés en Dh et les quantités en Kilogrammes.

Les différents coûts sont estimés à partir des enquêtes de terrain auprès des patrons ou armateurs des bateaux. Ils sont évalués en termes de dépenses par bateaux relativement à: assurances, réparation et charges financières en Dh par an, comme estimation de la valeur du navire, charges d’équipage du navire en Dh par mois ou par jour pour les barques artisanales, charges de carburant en Dh par litre et les consommations intermédiaires du navire (valeur totale par bateau et par marée (Dh) des dépenses en matière de vivres, entretien moteur et engins, emballage, glace, petit matériel, etc).

Les indices de prix sont utilisés pour l’estimation du prix du navire et le prix des consommations intermédiaires. L’indice prix du navire est égal au rapport entre la valeur des dépenses en assurances, réparation et charges financières divisée par la valeur du TGB du navire. L’indice prix des consommations intermédiaires est égal à la valeur totale des dépenses divisée par le nombre de jours en mer des bateaux.

Les données utilisées dans l’estimation économétrique représentent un total de 93 bateaux dont: 31 bateaux congélateurs hauturiers, 31 bateaux côtiers et 31 barques artisanales. Nous avons également utilisé les données d’armement afin de pouvoir en extraire les unités de capacité des bateaux en termes de TGB.

Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF

https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/662

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