16 C
New York
jeudi, avril 25, 2024

Buy now

Gestion des ressources halieutiques au Maroc et modes d’accès: Le modèle des «Anti-Commons» et la pêcherie poulpière

LES «ANTI-COMMONS» ET LES MODES D’ACCÈS AUX RESSOURCES DANS LE CONTEXTE DE LA POLITIQUE DE GESTION DES PÊCHES

La gestion des pêcheries vise à maintenir la productivité des stocks en ajustant l’effort de pêche au taux de croissance des stocks. La rareté des ressources halieutiques est liée au flux du stock limité par la capacité maximale du milieu. Toute extraction supérieure à ce flux risquerait de menacer la ressource d’extinction. La bonne gestion des pêcheries s’avère-t-elle donc nécessaire afin d’assurer la durabilité des ressources halieutiques.

Les systèmes de gestion peuvent prendre plusieurs formes selon les modes d’accès aux ressources. On distingue à ce niveau l’accès libre, l’accès privé, les « commons » et les « anti-commons ». Le mode d’accès libre correspond à la situation où personne ne possède ni le droit d’exclure les autres ni la responsabilité de préserver la ressource. Les opérateurs exploitent la ressource sans tenir compte des externalités négatives liées aux stocks jusqu’au point où la rente est totalement dissipée. Ce système de gestion conduit souvent à la tragédie des «commons». Le mode d’accès privé constitue la situation opposée du libre accès, dans laquelle un seul opérateur est propriétaire d’une partie ou de la totalité de la ressource (cas des ressources sédentaires) et détienne le droit d’exclusivité relatif à son exploitation. Dans certaines situations, l’accès privé suppose l’existence de plusieurs agents propriétaires chacun d’une portion distincte de la ressource ‘divisible’, comme les ressources qui vivent dans le sable ou qui sont fixes sur un substrat: coquillages, algues, corail.

Les «commons» font référence aux différents arrangements institutionnels ou systèmes de gouvernance dans lesquels les ressources sont utilisées en commun par la totalité ou une partie des membres d’une communauté et selon des règles spécifiques (Driouchi, 2013; Lametti, 2013; Caffentzis, 2012; Coelho et al., 2009; Ostrom, 2008; Muzner, 2005). Les membres de la communauté exercent des droits d’exclusion vis-à-vis des non membres. Les usagers des ressources communes participent au processus décisionnel quant à la définition des modalités de gestion mais ne peuvent pas exclure les autres membres de l’utilisation des ressources. Les «commons» sous le régime de libre accès, peuvent aboutir à la tragédie des «commons». L’État régule le niveau de l’effort de pêche par le biais des taxes ou des quotas échangeables afin d’éviter cette tragédie.

Les «anti-commons» sont une image symétrique des «commons» et réfèrent à la situation où les droits d’exclusion s’ajoutent aux droits d’usage. Plusieurs co-usagers détiennent des droits d’exclusion les uns vis-à-vis des autres concernant l’utilisation d’une ressource commune rare, mais personne ne peut effectivement utiliser cette ressource. Ces droits d’exclusion ou pouvoirs de veto, détenus par les usagers des ressources sont susceptibles de bloquer le processus de prise des décisions, limitant ainsi les chances de succès de la gestion des pêcheries. Le comportement individuel de maximisation des usagers se manifestent par des décisions séparées et déconnectées. Cependant, les interférences et les interdépendances entre ces décisions entraîneraient des coûts privés et sociaux élevés susceptibles d’entraver les possibilités d’innovation en matière de gouvernance des pêcheries.

Au Maroc, la politique des pêches maritimes est articulée autour d’une gestion par plans d’aménagement des pêcheries et par la mise en place des structures de concertation entre l’administration, la profession et la recherche. Ces plans reposent essentiellement sur la régulation des inputs et des outputs et l’octroi des droits d’usage des ressources halieutiques: licences et TACs (Total Admissible des Captures) répartis en quotas individuels.

Le plan d’aménagement du poulpe constitue le premier plan instauré en 2001. La pêcherie poulpière figure en tête des pêcheries économiquement importante, puisque la valeur des captures en poulpe en 2014 a atteint 3551 millions de Dirhams, soit 33 % de la valeur totale des captures (MPM, 2015). Malgré son importance économique, la pêcherie poulpière a connu des difficultés en matière de gestion ayant abouti à une forte chute du stock du poulpe d’environ 80 % en 2003 (INRH, 2004). L’échec et le blocage des décisions, notamment l’approbation du nouveau code des pêches, sont parmi les conséquences de la défaillance du processus managérial. Les sociétés d’armement hauturier considèrent la ressource poulpière comme ressource nationale dont la surexploitation menacerait leurs intérêts en tant que premiers opérateurs historiques de la pêcherie et les investissements lourds déployés. Cependant, les unités de congélation représentant les intérêts du segment artisanal, considèrent le poulpe comme ressource territoriale et défendent la légitimité de son exploitation par le segment artisanal (Vegouilla, 2010).

Ces conflits d’intérêts entre les acteurs publics et privés, dans une situation où le stock de poulpe se trouve dans un état de surexploitation avancé, contribueraient à l’émergence des effets des «anti-commons» sous forme d’un comportement de collusion. En effet, les opérateurs économiques se sont regroupés dans des associations professionnelles puissantes afin d’exercer leurs pouvoirs et infliger les décisions gouvernementales en matière de gestion de la pêcherie poulpière. Ils visaient à protéger et à maintenir leurs parts de marché afin de rentabiliser leurs investissements.

Par ailleurs, la raréfaction de la ressource poulpière et la multitude des intervenants publics et privés induiraient des coûts privés et sociaux élevés liés à la fragmentation des décisions et aux efforts déployés pour leurs suivis et évaluations, surtout en absence de coordination. Ce qui conduirait à une exploitation inefficiente des ressources. Dans le cas de la pêcherie poulpière, cette situation s’est manifestée par des crises financière et sociale ayant touché presque la totalité des opérateurs économiques. En effet, l’année 2004 a connu le retrait d’un tiers des unités de congélation du poulpe qui se sont reconverties vers l’exploitation des petits pélagiques et en 2014 des sociétés leaders du segment hauturier ont liquidé une partie ou la totalité de leurs flottes. Cela est dû principalement à l’état d’effondrement continu des stocks déjà fragilisés, conjugué la non viabilité des opérateurs économiques. Ce qui renvoie vers les conséquences de la tragédie des «anti-commons».

La présente étude essaiera d’élucider les raisons de l’échec de la gestion des ressources halieutiques, en particulier les problèmes liés à l’imperfection ou à l’absence de coordination dans un contexte où la durabilité des stocks est menacée. Nous pensons que la divergence des intérêts des différents opérateurs économiques, en relation avec la recherche de la protection et du maintien des parts de marché, aurait contribué à l’état d’effondrement continu de la ressource, aux pertes financières et économiques des opérateurs et aux coûts sociaux élevés. Le comportement de collusion des opérateurs économiques et l’interdépendance de leurs décisions auraient-ils agit comme entraves à la bonne gestion des ressources poulpière ? Existerait-il une situation des «anti-commons» dans le secteur des pêches ? Si oui, quelles seraient ses implications en matière de gouvernance des ressources halieutiques, d’innovation et du développement économique ?

Dans le but de tester ces hypothèses, nous envisagerons de conduire un test empirique sur la structure de marché moyennant l’estimation de l’indice de Lerner. Celui-ci permettrait de tester l’hypothèse d’égalité du coût marginal avec le prix de l’output. Le but est de vérifier l’imperfection du marché du poulpe dans le cas d’une concurrence oligopolistique confirmant ainsi l’existence des «anti-commons».

Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF

https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/662

Activités du projet ConserveTerra

Articles à la une

error: