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Gestion des ressources halieutiques au Maroc et modes d’accès: Le modèle des «Anti-Commons» et la pêcherie poulpière

LA PÊCHERIE POULPIÈRE AU MAROC ET LE RAPPROCHEMENT AUX «ANTI-COMMONS»

La surexploitation des ressources céphalopodières, un problème de gouvernance ?

Le stock de poulpe du sud du Maroc se caractérise par sa fragilité et son instabilité (INRH, 2016). Il n’a pas pu être reconstitué après une longue période de surexploitation notamment l’état d’effondrement très avancé survenu en 2003. À cause de cette situation de crise, 29 unités de congélation du poulpe menacées de faillite en 2004, ont quitté la pêcherie poulpière et plusieurs sociétés d’armement hauturier souffrant de difficultés financières, ont immobilisé ou liquidé une partie ou la totalité de leurs flottes. Le Groupe OMP (Ominium Marocain de Pêche) par exemple, propriétaire de 54 bateaux céphalopodiers a connu une cessation d’activité durant deux années (2012-2013), l’UMEP (Union Maroc Émirats Arabes Unis de Pêche) propriétaire de 9 céphalopodiers a changé de propriétaire à la suite d’un dur conflit social, et la société MARONA a cédé sa flotte de 40 céphalopodiers au profit de plusieurs acheteurs.

Cette crise financière et économique avait émergé depuis 1994. Après plusieurs mesures de gestion, le gouvernement a finalement instauré en 2001 le premier plan d’aménagement de la pêcherie poulpière. Ce plan revu en 2004, se base principalement sur l’attribution des quotas individuels et la réduction des capacités de pêche. Mais, ce dernier n’a pas pu résoudre tous les problèmes liés à la gestion de la pêcherie poulpière. Une tentative du Ministère des Pêches Maritimes, MPM, pour renforcer le plan d’aménagement de la pêcherie poulpière en 2010 a été vouée à l’échec.

La pêcherie poulpière est composée de trois principaux segments: le segment hauturier, le segment côtier et le segment artisanal. Son exploitation était au début menée exclusivement par une flotte étrangère. Après son indépendance, le Maroc a encouragé l’installation d’une flotte nationale dans le but de concurrencer la flotte étrangère. L’accès à la ressource était subordonné à l’obtention d’une licence de pêche. Celle-ci est octroyée aux opérateurs privés nationaux, sous la seule condition de détenir au moins la moitié du capital de la société. Des subventions importantes et des avantages financiers et fiscaux ont été accordés aux sociétés marocaines d’armement hauturier dans le but d’acquérir les moyens de pêche. Par conséquent, la flotte hauturière nationale s’est rapidement proliférée durant les années 1970s et 1980s, passant de 4 sociétés en 1973 à 228 sociétés en 1984.

L’instauration des Zones Économiques Exclusives, ZEE, sous la juridiction des États dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer en 1982, a conféré au Maroc le droit de gérer les ressources halieutiques qui se trouvent dans sa ZEE et la responsabilité de leur préservation. Le gouvernement marocain a ainsi créé en 1984 un Ministère des Pêches Maritimes (MPM) afin d’assurer une bonne gouvernance du secteur halieutique et de relancer son développement. Durant cette époque, les intérêts des sociétés marocaines d’armement étaient représentés et défendus par l’APAPHAM, Association Professionnelle des Armateurs de la Pêche Hauturière Au Maroc, créée en 1978. Les sociétés n’ayant pas bénéficié des subventions de l’État ont été ultérieurement constituées en association avec des chinois. Ce sont des sociétés marocaines d’armement à capital mixte maroco-chinois. Ce type d’association a profité, d’une part, aux étrangers exclus des accords de pêche pour accéder aux ressources céphalopodières marocaines et d’autres parts, aux marocains comme moyen d’exploiter leurs licences de pêche et acquérir des bateaux de pêche. Ces sociétés dites mixtes ont été regroupées dans l’Union Marocaine des Armateurs de la Pêche hauturière, UMAP, créée en 1989. La création de l’UMAP constitue une première fragmentation dans les intérêts des opérateurs marocains de la pêcherie céphalopodière.

Les acteurs de la pêcherie poulpière et fragmentation des décisions, un challenge de coordination

Les plus grandes sociétés marocaines d’armement hauturier sont affiliées dans l’APAPHAM, notamment l’OMP (54 bateaux), MARONA (40 bateaux) et SPSA (20 bateaux). Ces sociétés possèdent un grand pouvoir politique et économique en comparaison avec les sociétés de l’UMAP. Cette dernière association est composée de 67 sociétés de petites tailles à capital mixte maroco-chinois, soit 20% de la flotte nationale. Quant à la flotte étrangère, elle défendait ses intérêts à travers les accords de pêche (Tableau 1).

En raison de la raréfaction des ressources poulpière constatée durant la fin des années 1980, la première période de repos biologique a été instaurée en 1989 et le nombre des bateaux marocains autorisés a été limité en 1991 (gel des investissements pour l’obtention de nouveaux bateaux de la pêche hauturière et côtière). Malgré ces mesures, la pêcherie poulpière connaît une chute des prix des céphalopodes à l’international et une diminution des rendements des bateaux. Les effets du repli des bateaux marocains vers les ports nationaux ont aggravé la situation de la majorité des sociétés d’armement qui enduraient des difficultés financières les menaçant de faillite. L’APAPHAM a qualifié cette situation comme crise financière du secteur halieutique, menaçant la durabilité des ressources et dont l’intervention du gouvernement serait nécessaire. Par contre, l’UMAP considère que les difficultés des grandes sociétés étaient liées à la défaillance managériale des sociétés en question et non pas à la conjoncture de la pêcherie poulpière. Les sociétés affiliées à l’UMAP n’étaient pas d’ailleurs en difficultés financières. Ces deux visions relatives à la situation de la pêcherie poulpière avaient des répercussions sur les décisions prises par le MPM en matière de gestion de cette pêcherie (L’Économiste édition n° 71 du 18/03/1993).

L’APAPHAM a pu convaincre le MPM du besoin urgent de trouver des solutions à leurs difficultés financières afin de sortir leurs sociétés de cette crise. Pour cela, un plan de restructuration a été mis en œuvre sous la pression de l’APAPHAM. Ce plan a été critiqué par l’UMAP qui n’a pas participé à son élaboration à cause de sa marginalisation pendant les négociations avec le MPM. L’UMAP a été considérée comme non concernée par la crise du secteur puisque les sociétés à capital mixte n’étaient pas confrontées par les problèmes liés aux difficultés financières. En outre, sur demande de l’APAPHAM, le MPM a réduit la durée du repos biologique pour permettre aux bateaux d’augmenter leurs captures (L’Économiste édition N° 77 du 29/04/1993).

La chute continue des rendements en termes de CPUE (Captures Par Unité d’Effort), malgré une légère amélioration des prix, a poussé les armateurs hauturiers marocains à s’unir et faire pression contre la flotte étrangère dans le but de réduire l’effort de pêche. Cette action permettrait, selon les armateurs nationaux, d’alléger la pression sur la ressource afin d’assurer des rendements meilleurs des bateaux. L’APAPHAM et l’UMAP se sont alors unies en formant une seule association ACM (Association des Céphalopodiers Marocains), militant contre le renouvellement de l’accord de pêche des céphalopodes avec la Communauté Européenne (CE). Par conséquent, le MPM a diminué progressivement le nombre des bateaux étrangers jusqu’en 1999 où il a décidé de ne pas reconduire l’accord de pêche avec la CE.

Parallèlement à cette situation, de nouveaux opérateurs privés ont émergé, en l’occurrence les barques artisanales, installées grâce aux financements des unités industrielles de congélation, et les bateaux de la pêche côtière. Les unités de congélation ont pu s’imposer en tant que représentant des intérêts du segment de la pêche artisanale. Ces unités se sont organisées en Association des Industriels des Produits de la Mer de Oued Eddahab, AIPMOD. Leur nombre a passé de 4 unités en 1994 à plus de 70 unités en 2004. La majorité de ces unités appartiennent à des notables ou à des hommes de politique sahraouis ayant le pouvoir d’influencer la décision du MPM. La pêche côtière est également représentée par des organisations professionnelles mais qui n’avaient pas le même pouvoir de négociation que la pêche hauturière et artisanale.

Influencés par la baisse continue des prix et l’effondrement de la ressource, l’ACM s’est imposée de nouveau mais cette fois-ci pour prolonger la durée du repos biologique et éliminer les barques artisanales dont la majorité s’est proliférée sans autorisation. L’ACM et l’AIPMOD se critiquent mutuellement sur la responsabilité et les causes de la crise et la légitimité de l’exploitation de la ressource (L’Économiste du 04/12/1997). Aussi, les membres de l’ACM n’étaient pas tous d’accord sur les mesures du MPM. Des conflits entre les gros et les petits professionnels commençaient déjà à surgir. L’ACM s’est donc scindé en 2001 en deux associations, l’ancienne APAPHAM et l’UPEC, qui était contre certaines mesures du MPM. En raison de cette fragmentation entre les intérêts des professionnels, deux plans quinquennaux ont échoué et le code des pêches qui prévoyait surtout des avantages sociaux, n’a pas pu être approuvé. Toutefois, l’imposition de l’AIPMOD avait comme conséquence l’intégration de la pêche artisanale comme acteur principal dans le processus décisionnel et la régulation de la situation des barques artisanales (Ré-immatriculation).

Le plan d’aménagement de la pêcherie poulpière de 2001 vient mettre fin au bras de fer entre les opérateurs de la pêche hauturière et de la pêche artisanale. C’est un plan basé sur le plafonnement des captures et la répartition du TAC sur la base de l’historique des captures entre les trois segments de la pêcherie (51% pour le segment hauturier, 32% pour le segment artisanal et 7% pour le segment côtier).

Par ailleurs, les négociations des prix au niveau du marché international étaient en faveur des unités de congélation à cause du décalage de la mise sur le marché de la production. Les sociétés de la pêche hauturière étaient en position faible quant à la négociation des prix. Ces dernières ont pu imposer au MPM un plan de commercialisation et de suivi des prix. C’est un plan qui fixait un prix minimum à l’exportation et la date de commercialisation du poulpe coïncidant à la période de débarquement des bateaux hauturiers (fin de saison de pêche). Il instaure également le prolongement de la durée du repos biologique permettant ainsi de réduire les coûts d’exploitation des bateaux hauturiers induits par l’augmentation des prix du gasoil. Cependant, ce plan de commercialisation a été fortement critiqué par les unités de congélation à cause des coûts et des capacités de stockage insuffisantes. C’est la raison pour laquelle ce plan de commercialisation a échoué.

Le stock de poulpe ayant enregistré sa plus grande chute en 2003 (diminution de plus de 80% selon l’INRH). En conséquence, les opérateurs étaient obligés d’arrêter leur activité de pêche de plus de 7 mois. Les unités de congélation en difficultés financières se sont obligées de se reconvertir à la pêche des petits pélagiques. Devant cet état d’effondrement du stock et de crise économique et sociale, le MPM a revu le plan d’aménagement de la pêcherie poulpière, en mettant en place des nouvelles mesures. Celles-ci sont principalement les quotas individuels ‘transférables’ uniquement entre bateaux de la même société, une nouvelle clé de répartition ajustée du TAC (63% pour le segment hauturier, 26% pour le segment artisanal et 11% pour le segment côtier), la réduction du nombre des bateaux côtiers et des barques artisanales et l’institution de quatre nouvelles structures de concertation et de suivi, dont la plus importante est la commission de veille biologique.

Ces mesures ont été critiquées par les opérateurs du segment côtier et artisanal qui ont été exclus des négociations pour l’élaboration de ladite matrice. Les petits opérateurs ainsi que les représentants des marins exclus des négociations, ont aussi manifestés leurs désaccords. Par conséquent, l’AIPMOD, s’est retirée des négociations avec le MPM, qu’elle a jugée inéquitable et marginalisant le segment artisanal. Cette crise a été accentuée par la prolifération de la pêche illicite à cause de l’insuffisance du contrôle et le refus des professionnels de s’aligner avec les mesures de la matrice.

L’échec des mesures de gestion de la pêcherie poulpière sur les plans biologique, économique et social, a poussé le MPM à généraliser le repos biologique du poulpe et les quotas individuels sur tout le littoral marocain et à renforcer le contrôle (INN : Pêche illicite, non réglementée et non déclarée et VMS). Le renforcement du plan d’aménagement de la pêcherie poulpière (PAP) a fait également l’objet d’étude par le MPM en concertation avec la profession. Ce nouveau PAP renforcé visait à ajuster la capacité globale et à renforcer les droits de pêche par le biais du marché. Mais cette initiative du MPM a été bloquée à sa phase embryonnaire.

Cette défaillance du processus décisionnel serait le résultat de l’absence ou de l’insuffisance de coordination et qui pourrait être dû à une situation des «anti-commons» où les opérateurs de la pêche détenant des droits d’exclusion finissent par bloquer la gestion de la pêcherie poulpière. Cette situation peut tendre vers une tragédie des «anti-commons» caractérisée par une utilisation inefficiente des ressources et la limitation des possibilités d’innovation. Les « anti-commons » peuvent se manifester sous une forme de collusion où les opérateurs pourraient contrôler les prix ou leurs parts de marché. L’objet principal de cette étude est donc de vérifier l’existence d’une situation des « anti-commons » et ceci, à travers l’analyse de la structure de marché et le test d’existence d’un pouvoir de marché dans le cas de la pêcherie poulpière.

Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF

https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/662

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