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jeudi, mars 28, 2024

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Gestion des ressources halieutiques au Maroc et modes d’accès: Le modèle des «Anti-Commons» et la pêcherie poulpière

RÉSULTATS DE L’ANALYSE

L’analyse des matrices de corrélation des trois segments de la pêcherie poulpière a révélé une forte corrélation entre le salaire, wL, et l’output, YO, segment artisanal (Figure 1). Nous avons donc éliminé le salaire pour le segment artisanal. Ceci permettra d’éviter les problèmes liés à la multicolinéarité des variables. Les équations linéaires, des parts des inputs et de la demande de l’output, sont globalement significatives, leurs R² ajustés sont élevés sauf pour le segment côtier où le R² de l’équation SK est anormalement négatif. En ce qui concerne l’équation non linéaire de l’offre, P, la normalité des résidus est respectée. Le test de Shapiro-Wilk donne des probabilités, p-value, largement supérieures à 5 %. La non corrélation des résidus est déduite à partir des graphiques de corrélation des erreurs (Figure 2).

La majorité des paramètres estimés du système des équations sont significativement différents de zéro au seuil de 1 % et 5 %. Les valeurs de l’élasticité de variation conjecturale et de l’élasticité prix de la demande de l’output sont significatives au seuil de 1%. L’élasticité revenue de la demande de l’output est également significative au seuil de 1 %, mais l’élasticité de substitution de la demande de l’output n’est pas significative. En ce qui concerne les paramètres des équations des parts d’inputs qui serviront pour le calcul des élasticités de la demande d’inputs, ils sont pour la quasi-totalité d’entre eux significatifs.

L’élasticité de la variation conjecturale reflète l’anticipation par un opérateur du changement proportionnel dans l’output au niveau du marché en réponse au changement proportionnel qu’il exerce sur son propre output. Elle est égale à -0,7401, -0,6839 et -0,7294 respectivement pour les segments hauturier, côtier et artisanal. Nous pouvons déduire la valeur de l’indice de Lerner qui est le rapport entre l’élasticité de la variation conjecturale et l’élasticité de la demande de l’output, L= θ/ρ, il est égal à -0,9968, -0,9965 et -0,9997 respectivement pour les segments hauturier, côtier et artisanal. Les élasticités prix et revenue de la demande de l’output pour les trois segments sont reportées dans le tableau 5.

Les élasticités prix directe et prix croisée de la demande des inputs sont exprimées par les formules suivantes (Brendt et Wood, 1975 et Reynès et Yeddir-Tamsamani, 2009):

eiiii/si +si-1 et eijij/si +savec i,j=K,L,E,M et eij=eji

Les valeurs de ces élasticités sont résumées dans le tableau 6.

Les résultats obtenus à partir de ce système d’équations permettent également d’évaluer la sensibilité et la variation des économies d’échelle. Ces variations sont égales à 0,0977, -0,0541 et 0 respectivement pour les segments hauturier, côtier et artisanal.

Nous pouvons également estimer la variation proportionnelle des parts des inputs demandés à la suite des changements de leurs prix:

Tableau 7: La variation des parts, Si, suite à une variation des prix des inputs pour les trois segments de la pêcherie poulpière

Part des inputs Segment

  hauturier

Segment

côtier

Segment

 artisanal

SK 0,6832 0 0,8485
SL 0,4591 0,6553
SE 0,3125 0 0,0962
SM 0,5854 0,301 0,5772

 

DISCUSSIONS

Les élasticités prix directes de la demande des inputs sont très élevées pour le segment côtier. Cela est dû au fait que les opérateurs du segment côtier ne sont pas dépendant du poulpe. La capture de poulpe représente un faible pourcentage dans leurs captures totales et leur quota du poulpe est le plus faible par rapport aux autres segments. Ces élasticités sont plus faibles pour le segment artisanal en comparaison avec le segment hauturier parce que les captures des bateaux de la pêche hauturière sont constituées du poulpe et autres poissons associés (céphalopodes et poissons de fond) alors que les barques artisanales capturent uniquement le poulpe. Le segment artisanal est donc beaucoup plus dépendant du poulpe. Le signe des élasticités est négatif sauf pour le cas du travail pour le segment côtier. En fait, le travail est rémunéré dans le cas de la pêche côtière par des parts du résultat brut d’exploitation et non pas par des vrais salaires.

La majorité des élasticités prix croisées ont un signe positif. Elles sont faibles sauf pour le cas du Capital-Carburant et du Carburant-Consommations intermédiaires. Ce qui indique qu’une augmentation du prix du carburant, poussera les armateurs à investir beaucoup plus dans la technologie afin d’améliorer la capturabilité des bateaux et réduire la consommation en carburant. Ceci est beaucoup plus manifesté par les armateurs de la pêche côtière et hauturière. En plus, dans le cas de la pêche côtière, les bateaux ont tendance à augmenter la durée de leur marée afin de maximiser leurs captures, ce qui se traduira par une augmentation des dépenses en consommations intermédiaires. Généralement, les armateurs de la pêche hauturière accordent plus d’importance à l’équipage et investissent moins dans la réparation ou le renouvellement des bateaux, c’est pourquoi l’élasticité Travail-Capital est négative.

L’élasticité prix de la demande de poulpe est positive et varie entre 0,68 et 0,74 pour les trois segments de la pêcherie poulpière. Ces valeurs signifient que la demande de poulpe dans le marché japonais est inélastique. Elle est sensiblement moins inélastique lorsqu’il s’agit du poulpe issu de la pêche hauturière. L’élasticité la plus élevée a été enregistrée dans le cas du segment hauturier. Le signe positif de cette élasticité n’est pas conforme aux prédictions de la théorie. Ce signe peut être expliqué en relation avec la rareté de la ressource et la forte demande au niveau du marché japonais. Les quantités produites de poulpe (quotas saisonniers) sont totalement absorbées par le marché japonais même si le prix augmenterait. Ceci est consistent avec le caractère de forte (ou parfaite) inélasticité de la demande du poulpe qui constitue l’ingrédient principal d’une célèbre recette traditionnelle au Japon (demande très forte).

L’élasticité de la variation conjecturale varie souvent entre 0 et 1 selon la structure de marché. Une variation conjecturale égale à 0 correspond à un marché en concurrence pure et parfaite tandis qu’en cas de marché monopolistique, celle-ci prend la valeur de 1. Les valeurs entre 0 et 1 traduisent la situation d’un marché oligopolistique. Toutefois, l’élasticité de la variation conjecturale peut prendre des valeurs négatives entre -1 et 0. Il existe un intervalle dans lequel une variation conjecturale positive dans les prix implique une variation conjecturale négative dans les quantités (Kamien and Schwartz, 1983). Riordan (1985) a démontré aussi que la variation conjecturale est dynamique et peut prendre des valeurs négatives, et ce, en se basant dans son analyse sur l’imperfection de l’information des firmes et sur l’évolution de la demande du marché. Selon cet auteur, une firme pensait qu’une augmentation de son output pourrait induire une diminution du prix du marché, ce qui poussait les firmes concurrentes à croire que la demande allait diminuer et par conséquent elles diminueraient leurs futurs outputs.

L’élasticité de la variation conjecturale pour les trois segments de la pêcherie poulpière est négative et est comprise entre -0,74 et -0,68. Ce sont des valeurs différentes de zéro et proches de un en valeur absolue. Ce qui signifie que la structure du marché de poulpe est un oligopole. Les opérateurs économiques dans la pêcherie poulpière agissaient en collusion entraînant ainsi une imperfection du marché de poulpe.

Dans le cas de la pêcherie poulpière, la rareté de la ressource et le système de quotas préconisé dans la gestion de cette pêcherie peuvent expliquer le signe de l’élasticité de la variation conjecturale. Chaque opérateur de la pêche anticipera une diminution des quantités offertes par les autres opérateurs lorsqu’il augmente sa quantité ou en cas d’augmentation de sa part du quota global. Plus la quantité capturée par un opérateur est grande, moins sont les quantités capturées par les autres opérateurs, à cause des externalités liées aux stocks et des coûts d’exploitation élevés. En plus, puisque le quota global est limité, l’augmentation des parts de certains opérateurs signifie la diminution des parts des autres.

A partir de l’estimation de la variation conjecturale et de l’indice de Lerner qui ont des valeurs proches de 1 en valeur absolue, nous pouvons constater que le marché du poulpe est sujet à la collusion. C’est donc un marché oligopolistique caractérisé par des acteurs interdépendants, de manière à ce que les politiques suivies par les uns, affectent le comportement des autres. Cette imperfection du marché confirme ainsi l’hypothèse de l’existence des effets des «anti-commons» dans la pêche et plus particulièrement dans le cas de la pêcherie poulpière. Les coûts dans la pêche dépendent de la variabilité des flux des ressources et du nombre de bateaux (coûts liés à la recherche de la ressource et de congestion). Les opérateurs de la pêche cherchent à éliminer la concurrence et à maintenir leurs parts de marchés élevées, et ce, dans le but d’infliger les décisions du Ministère de tutelle. Ils peuvent par conséquent former une coalition et détenir un pouvoir de marché. En effet, la pêcherie poulpière est caractérisée par une forte concentration de l’offre dans les mains d’un nombre restreint d’opérateurs qui sont propriétaires d’un nombre élevé de bateaux. Ceux-ci ont réussi à imposer leurs décisions en matière de gestion de cette pêcherie.

Cette étude a permis de tester empiriquement l’existence des problèmes liés aux «anti-commons» dans le secteur de la pêche. Une situation des «anti-commons» peut entraîner des coûts implicites élevés en relation avec des décisions fragmentées et dispersées notamment en l’absence de coordination. Cette situation peut induire la défaillance des marchés et tendre vers une tragédie des «anti-commons» caractérisée par une utilisation inefficiente des ressources.

En effet, la pêche est un secteur qui est susceptible de manifester les effets des «anti-commons». Les décisions en matière de gestion des ressources halieutiques sont prises par des départements ministériels en collaboration avec des partenaires privés. Les interdépendances entre ces institutions peuvent engendrer des coûts de transaction très élevés et des échecs en matière de gestion des ressources pouvant aboutir à l’inhibition complète de l’utilisation de ces ressources. La mise en place d’une meilleure coordination entre les différents acteurs impliqués et le renforcement des canaux de coordination peuvent constituer une alternative à cette situation. L’intégration des «anti-commons» dans les décisions des agents économiques peut orienter et améliorer les politiques économiques des économies émergentes. Par conséquent, cela permet de réduire le risque de défaillance du marché et augmenter les opportunités d’investissement et de développement.

Source sur Revue Marocaine des Sciences Agronomique et Vétérinaires et ficher PDF

https://www.agrimaroc.org/index.php/Actes_IAVH2/article/view/662

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