DISCUSSION
Les résultats obtenus à partir des essais de bouturage et de greffage confirment l’utilité de ces deux techniques pour la multiplication végétative de l’arganier. Les pourcentages d’enracinement atteints lors des essais de bouturage, restent approximativement de même ordre que ceux rapportés par d’autres auteurs (Kaaya, 1998; Harrouni, 2002; Alouani, 2003; Ferradous et al., 2011). Les taux d’enracinement, de production de cal et de pourriture dépendraient principalement du génotype. En effet, le facteur génotype a contribué de plus de 75% à la variabilité totale. Le génotype Z3B4b a présenté le pourcentage d’enracinement le plus élevé, Z1B6a a formé le plus de cal et Z1E6a a été le plus affecté par la pourriture. Le génotype Z3A1a est resté dormant pendant les 4 mois de l’étude en formant seulement quelques cals.
Ces différences comportementales entre les génotypes seraient dues soit aux propriétés intrinsèques de chaque génotype, soit à leur état physiologique. Des effets similaires ont été rapportées chez l’arganier multiplié par bouturage (Harrouni, 2002) et marcottage (Bouiche, 2008), et chez d’autres espèces ligneuses propagées par bouturage (Preece et al., 1991; Pérez-Tornero et Burgos, 2000; Awan et al., 2012). Selon ces auteurs, l’aptitude d’enracinement serait plus liée au génotype qu’à autres facteurs. Cette variabilité entre génotypes aurait aussi comme cause des différences de l’équilibre hormonal interne; certains génotypes seraient sans doute carencés en auxines endogènes, en cofacteurs d’auxines ou en enzymes responsables de la synthèse des complexes auxino-phénoliques ou leurs activateurs. Cette déficience auxinique peut être aussi causée par la présence d’inhibiteurs ou d’enzymes responsables de l’oxydation ou de la dégradation des auxines ou de leurs cofacteurs (Leakey, 1985).
Ces différences d’aptitude génotypique dues à l’état physiologique, peuvent être vérifiées en entreprenant des expérimentations à des périodes et des saisons différentes. Des tests d’enracinement sous des conditions contrôlées à différentes concentrations d’AIB, couplés avec des analyses de teneurs d’hormones endogènes,devraient aider à déterminer la concentration optimale à la rhizogénèse pour chaque génotype.
Le contrôle de la pourriture constitue une deuxième contrainte à la multiplication de l’arganier. Bakry et al. (2009) a rapporté que l’infection des boutures est causée par Pestalotiopsis clavispora. Cet ascomycète entretient une relation opportuniste et endophyte avec son hôte et est transmis aux boutures à travers un pied mère déjà infecté. La virulence de P. clavispora augmente considérablement avec le niveau de stress auquel sont exposées les boutures pendant l’essai et les conditions environnementales à l’intérieur de la serre,normalement favorables au développement fongique. Un traitement préalable des plants mères avant le prélèvement des boutures, suivi de traitements antifongiques tout au long de la période de multiplication seraient nécessaire pour contrôler l’infection.
L’apport de calcium n’a apporté aucune amélioration à l’enracinement des boutures des génotypes testés d’arganier. Au contraire, les meilleurs pourcentages d’enracinement ont été obtenus avec le témoin, ce qui est totalement opposé aux résultats rapportés sur d’autres espèces (Eliasson, 1978; Bellamine et al., 1998). Le calcium est un élément minéral non toxique aux plantes (Marschner, 1995); son effet négatif sur les boutures d’arganier peut être attribué en partie à l’augmentation de la concentration en sels solubles de la solution de culture, ce qui aurait perturbé l’absorption d’eau à cause de l’osmose inverse. L’ion Cl– par contre,dont la concentration atteignait 36 mM dans le cas du traitement au CaCl2, aurait pu avoir sur les boutures un effet de toxicité.
Le pouvoir désinfectant du traitement au calcium s’est révélé dépendre fortement du génotype. En effet, chez les génotypes Z1B6a et Z1E6a, le traitement au CaCl2 a permis de réduire significativement le taux de mortalité des boutures. Le calcium aurait un rôle de protection de l’intégrité des parois cellulaires et un effet positif sur l’amélioration du niveau de résistance aux stress biotiques (White et Broadley, 2003).
Contrairement à l’effet très prononcé du génotype sur le bouturage, le greffage dépend peu du génotype du greffon (seulement 12% de la variabilité totale) et apparemment pas de celui du porte-greffe. L’absence d’influence du PG et l’importance de la variabilité résiduelle seraient dues à la constitution génétique des porte-greffes utilisés. Étant issus d’un même arbre et d’une espèce allogame, les graines n’ont qu’environ 25% de leurs allèles en commun (Nerd et al., 1998). L’influence du génotype du greffon, bien qu’apparente, est dominée par l’effet de l’interaction GxPG qui montre que le taux de reprise dépend plus de la combinaison G/PG que du génotype du greffon. La rapidité d’émission des bourgeons a été optimale avec le greffon Z1B6a. Le temps d’émission représenterait en effet la capacité d’établissement des structures de transit entre greffon et porte greffe qui permettent le transport actif de l’eau et des éléments minéraux (sève) vers les sites de croissance, les méristèmes. Une capacité qui serait aussi liée à la taille et au nombre des vaisseaux du greffon.
La comparaison entre les deux techniques de multiplication végétative montre que la variabilité génétique de l’arganier constitue une contrainte majeure à sa multiplication par bouturage. Il s’avère difficile de mettre au point un seul milieu d’enracinement optimal pour les différents génotypes. Ce type de contrainte est fréquent chez les espèces ligneuses pour lesquelles il est souvent nécessaire d’adapter les conditions nutritionnelles et celles du microclimat en fonction des exigences de chaque clone (Pérez-Tornero et Burgos, 2000). Cette contrainte peut cependant être surmontée en grande partie par le greffage, technique plus rapide et dont le rendement est peu influencé par le génotype des greffons. La technique de greffage présente cependant l’inconvénient d’apparition d’une hétérogénéité entre plants greffés à cause de la grande variabilité génétique entre les porte-greffes. Le contrôle de la pollinisation des arbres semenciers et l’étude plus approfondie de l’effet à long terme du porte-greffe sur la performance des plants devraient atténuer les hétérogénéités induites par les porte-greffes.
CONCLUSION
La présente étude a montré que la technique de greffage serait mieux adaptée que le bouturage pour la production de plants d’arganier de qualité, vu son rendement élevé et son délai de production. En effet, l’opération de greffage et l’acclimatation des plants durent qu’environ 1 mois. Malgré les quelques difficultés techniques et l’obligation de tenir compte de la compatibilité greffon/porte greffe, la technique de greffage reste à l’heure actuelle la plus recommandée pour la production de plants de qualité nécessaires à l’installation de vergers intensifs d’arganier.
L’effet déterminant du génotype dans le cas du bouturage, nécessite l’évaluation de l’aptitude à l’enracinement d’arbres d’intérêt économique et écologique, avant d’entamer leur multiplication à grande échelle. Des études plus approfondies sur l’interaction génotype d’arganier et type d’auxine et teneurs devraient être entreprises. L’apport du calcium n’a pas permis de dégager d’effet bénéfique sur le bouturage, ceci est probablement à cause d’un surdosage. Il serait donc nécessaire de prospecter cet aspect en testant différentes concentrations et d’autres sources de calcium avant des tirer des conclusions.