La filière des truffes au Maroc
Espèces, zones de production, productivité et voies de développement
La filière des truffes au Maroc
Les truffes constituent au Maroc une ressource naturelle importante pour l’économie rurale et peuvent jouer un rôle important dans l’allégement de la pression sur les ressources forestières et pastorales. Les nouvelles stratégies de développement agricole et forestier accordent de plus en plus d’attention aux produits naturels et de terroir. Les truffes sont un exemple pertinent de ces produits. Elles sont très diversifiées et offrent un potentiel de développement important. Cependant, on note un manque de connaissance de leur répartition géographique et moins encore de leur productivité. Une analyse documentaire, des prospections de terrain, des interviews et des ateliers avec des personnes ressources et des gestionnaires forestiers et d’agriculture à l’échelle du pays ont permis la réalisation d’un inventaire des espèces existantes, de leurs cartes de répartition géographique et de productivité. Le Maroc compte une dizaine d’espèces des truffes de désert des genres Terfezia, Tirmania, Delastria, Picoa et Tuber, répandues dans quatre principales zones trufficoles: la région de l’Oriental, la forêt de la Maâmora, le Sahel Doukkala-Abda et le Sahara marocain. Les productivités sont variables entre les zones et à l’intérieur des zones. Elles sont influencées par la nature des sols et la répartition des précipitations. Les résultats obtenus sous forme cartographique, une carte de répartition géographique des truffes et une carte de productivité, constituent un premier pas vers la connaissance du potentiel truffier et l’amélioration de la prise de décision pour la valorisation des truffes marocaines. L’analyse SWOT a montré que la filière de la truffe jouit d’un nombre important de points de force dont la diversité des espèces et les grandes étendues de production; la contribution aux revenus des populations collectrices et le savoir-faire ancestral lié à l’activité de collecte. Les faiblesses concernent surtout l’organisation et la réglementation de la filière. Quant aux opportunités, on note la forte demande pour les truffes par les marchés extérieurs et la forte volonté de développement de cette filière traduite par des stratégies qui s’intéressent aux produits de terroir. Pour les menaces, il s’agit surtout de la diminution des précipitations et la succession des années de sécheresse liées au changement climatique. Des actions de valorisation de la filière sont proposées dont la promulgation d’une loi spécifique à la truffe, la création d’un marché typique, l’orientation vers la trufficulture pour soulager la production naturelle et le développement de la recherche scientifique relative aux truffes.
Introduction
Le Maroc, par sa position géographique particulière au nord-ouest de l’Afrique et au sud du détroit de Gibraltar, dispose d’une richesse importante en ressources naturelles, notamment végétales. Cette richesse offre diverses opportunités pour le développement socio-économique des zones rurales marocaines et pour l’amélioration du niveau de vie des populations locales. Ces ressources naturelles constituent des éléments fondamentaux pour l’augmentation des revenus des paysans et pour la création de l’emploi dans ces milieux fragiles et vulnérables. À ce sujet, les truffes du désert qui présentent un potentiel important incitant ainsi les décideurs à les classer comme produit de terroir.
L’expression truffe de désert ou «terfès» est utilisée pour désigner les champignons hypogés, saisonniers et comestibles appartenant aux Ascomycètes, qui se développent dans des zones à climats arides et semi-arides de la région méditerranéenne. Elle désigne surtout des espèces des genres Terfezia, Tirmania, Delastria et Tuber mais également des espèces moins connues tels que les genres Picoa, Mattirolomyces et Loculotuber.
La production naturelle des truffes du désert dépend d’une association symbiotique établie avec les racines de plantes hôtes appropriées, généralement des Cistacées annuelles et/ou pérennes principalement du genre Helianthemum. L’association entre ces plantes et leurs mycètes peut jouer un rôle majeur dans le maintien des arbustes méditerranéens et prairies xérophytes, et donc dans la prévention de l’érosion et de la désertification.
Les truffes du désert sont une source naturelle de plusieurs nutriments et composants chimiques tels que les protéines, les acides aminés, les vitamines, les composés aromatiques, les stérols, terpènes, acides gras, minéraux et glucides. Elles sont utilisées depuis longtemps comme source de nourriture, comme délice alimentaire et comme ressource d’urgence en période de carence alimentaire par les nomades du Sahara et du Moyen-Orient.
Quatre grandes zones ont été désignées comme étant trufficoles au Maroc, il s’agit de l’Oriental, la forêt de la Maâmora, le sahel de Abda-Doukkala et le Sahara marocain. À côté des truffes de désert, le Maroc connaît aussi la production des truffes appelées «vraies truffes» appartenant au genre Tuber et associées aux racines du chêne vert, et ce, selon deux types, spontanés et cultivés.
Les truffes du Maroc et leur répartition géographique
Espèces existantes
Au Maroc, on compte une dizaine d’espèces de truffes du désert connues sous le nom arabe de «terfès» (Tableau 1). Elles sont réparties sur le territoire marocain et constituent une source d’activité économique importante lors de la saison de production. D’autre espèces du genre Tuber, dites les vraies truffes, généralement de couleur sombre, ont été aussi signalées, mais leur production n’est pas régulière et elles ne sont pas abondantes.
La différenciation entre les espèces se fait sur la base de la couleur, la forme, la taille, la consistance et la texture des ascocarpes, la plante hôte et les conditions climatiques et édaphiques dans lesquelles elles se développent. L’analyse moléculaire reste le facteur déterminant de distinction entre les espèces, vu que plusieurs d’entre elles partagent des caractéristiques de forme et d’habitat qui se ressemblent.
Ainsi, durant toute l’histoire de la truffe, des espèces ont été confondues pendant longtemps et seules les analyses ont montré qu’il s’agit d’espèces distinctes. C’est le cas de Tuber asa et Tuber gennadii qui partagent des habitats similaires et coexistent dans les mêmes endroits, à quelques centimètres près, mais qui sont deux espèces morphologiquement très différentes. On note aussi le cas de T. olbiensis qui a été considérée comme une forme immature de Terfezea leptoderma et traitée comme synonyme par plusieurs auteurs. L’analyse moléculaire a montré plusieurs distinctions entre les deux espèces, auxquelles s’ajoute le fait que T. olbiensis est associé aux arbres et non aux plantes Cistacées comme Terfezea leptoderma.
Pour d’autres, les analyses ont montré qu’il s’agit de la même espèce alors qu’elles étaient considérées souvent comme deux espèces différentes. C’est le cas de Tuber aestivum et Tuber uncinatum (appelées respectivement truffe d’été et truffe de Bourgogne), que les analyses moléculaires n’ont montré aucune différence et ont conduit donc à ne considérer qu’une seule espèce avec des différences éco-physiologiques, vu que Tuber uncinatum pousse toujours dans des endroits ombragés alors que Tuber aestivum est généralement dans des endroits ensoleillés. Les différences de goût, d’odeur et de morphologie des spores sont dues à des facteurs écologiques.
Aires de répartition des truffes au Maroc
La production des truffes concerne de grandes étendues du territoire marocain du Nord au Sud. Les espèces rencontrées ainsi que leurs productivités sont intimement liées aux conditions écologiques de ces régions (climats, sols, végétations naturelles). L’analyse documentaire, les interviews et ateliers avec les personnes ressources ainsi que les observations de terrain nous permettent de distinguer quatre principales zones trufficoles au Maroc (Figure 1).
La forêt de la Maâmora
Elle est située sur la façade atlantique au Nord-Ouest du Royaume, sur la meseta côtière, entre les villes de Salé et Kénitra. Elle est limitée au Nord par la plaine du Gharb et au Sud par la vallée du Bouregreg et les contreforts du plateau central. Le relief est plat dans la zone ouest et ondulé dans la zone orientale. Du point de vue géologique, la Maâmora est une vaste plate-forme quaternaire. Elle constitue une séparation géomorphologique entre, au nord, la plaine du Gharb sédimentaire et argileuse liée au fonctionnement de l’oued Sebou drainant le Rif et le Pré-Rif schisteux/marneux et la plaine de la Chaouia, plutôt ancienne et issue du fonctionnement de plusieurs affluents de l’oued Oum Rabia et des oueds atlantiques drainant les eaux du Moyen Atlas calcaire et dolomitique.
La Maâmora est constituée en surface de dépôts éoliens sableux récents sur un plancher argileux ondulé, d’épaisseur et de profondeur variables. Les sols sont sableux, profonds, acides (pH = 6,5) et pauvres en matière organique (1%). La profondeur du plancher argileux détermine le bilan hydrique en surface et par conséquent la formation des «dayas» (marres) et le développement de la végétation. Le climat est subhumide à l’ouest (température modérée, forte hydrométrie) et semi-aride à l’est (période sèche plus longue). La végétation est constituée essentiellement de chêne liège avec des plantations de pins, d’Acacia et d’Eucalyptus introduits pour répondre aux besoins en bois de service.
La Maâmora joue le rôle de «truffier» pour 5 principales espèces: sous chêne liège clair et dans les vides, 3 espèces sont associées avec Helianthemum guttatum comme plante hôte (Hélianthème à gouttes) qui sont Terfezia arenaria, Terfezea leptoderma et Tuber asa et 2 espèces qui sont associées au Pinus pinaster var. atlantica reboisé et qui sont Tuber oligospermum et Delastria rosea. Deux autres espèces ont été mentionnées dans la forêt de la Maâmora mais ne sont pas aussi bien connues et répandues. Il s’agit de Tuber gennadii associé à H. guttatum et T. Borchii Var. sphaerosperma associée au pin d’Alep (Pinus halepensis) et aux pin pignon (Pinus pinea).
Le Sahel Doukkala-Abda
Le Sahel se situe sur la bordure occidentale de la Meseta marocaine comprise entre les latitudes 32°15’ et 33°15’ et entre les longitudes ouest 7°55’ et 9°15’. L’altitude varie de 15 m à Safi au Sud à 185 m à Sidi Bennour à l’Est. Le Sahel se présente comme une bande de 25 à 30 km de largeur et de 110 km de longueur couvrant la façade littorale du bassin hydrogéologique entre Safi et El Jadida. Sa surface est inclinée vers le Nord-Ouest. C’est un pays de dunes consolidées, allongées en longues crêtes parallèles au rivage.
Dans ce secteur, une étroite frange côtière sous forme de gouttières de quelques kilomètres de large contraste avec le reste du Sahel, c’est l’Oulja. Elle correspond à la plate-forme d’abrasion de la mer «Ouljienne» et est bordée à l’Est par une importante falaise morte et est protégée de l’océan par un cordon dunaire.
Le domaine du Sahel-Doukkala comprend deux entités géologiques distinctes, le socle d’âge précambrien et paléozoïque alors que la couverture est formée par des terrains secondaires, tertiaires et quaternaires. Il constitue par sa morphologie une barrière naturelle qui empêche tout écoulement superficiel vers l’océan. Les eaux des pluies sont collectées dans des dépressions interdunaires ou d’origine karstique. Ces eaux sont ensuite évaporées ou percolent vers la nappe. Il est constitué de plateaux de parcours du domaine atlantique des tribus Doukkala et Abda. Le climat est semi-aride à aride. On note un gradient pluviométrique d’ouest en est et du nord vers le sud, avec 396 mm/an à El Jadida, 330 mm/an à Safi et 270 mm/an à Boulaouane. Les sols sont calcaires (affleurement de la dalle calcaire).
L’analyse documentaire montre que l’espèce de truffe existante est Terfezea boudieri. Elle est associée avec H. lipii var. sessiliflorum et H. ledifolium dans la plaine d’Abda dans la région de «Had Hrara» située à l’Est de la ville de Safi. En outre, et selon nos observations de terrain en février 2021, on a pu voir une deuxième espèce, il s’agit de Tirmania pinoyi. Les collecteurs nous ont confirmés la présence d’une troisième espèce qui correspond à Tuber Oligospermum. Cette dernière se rencontre dans la forêt de Sidi M’Sahel à Had Hrara sous les reboisements de pin d’Alep. Ces deux espèces ont été trouvées et mentionnées aussi dans la région de Safi en 2005. Les truffes se trouvent dans presque tout le Sahel.
La région Nord-Est
La région comprend les Hauts Plateaux et les plaines pastorales de l’Oriental, la Haute Moulouya et une partie du Tafilalet. Elle s’étend sur plus de cinq millions d’hectares. Elle se caractérise par une diversité de climat, de sol et de végétation. Toutefois, les types de physionomie végétale sont limités: steppes d’alfa, steppes d’armoises, steppes à touffes végétales, boisements et terres arbustives.
Le gradient bioclimatique va du climat subhumide dans la zone de Debdou dans le Nord, au climat saharien dans le Sud (Bouaarfa 160 mm) et dans la vallée de la Moulouya à l’Ouest (Outat El Haj 157 mm). Cependant, le bioclimat aride avec des hivers froids (de 200 à 350 mm de précipitations annuelles) prévaut dans la plupart de la zone. Les sols dominants sont les lithosols et les régosols, calcaires, de textures limoneuses à limono sableuses et peu profond. Mais on trouve aussi des sols bruns de la steppe et des sols halomorphes. L’élevage s’appuie tout d’abord sur les ovins, puis sur les caprins. Les bovins ont quelque peu augmenté au cours des vingt dernières années mais restent d’une importance limitée.
La région est connue par la production de 5 espèces de truffes dont trois sont les plus répandues et qui sont Tirmania pinoyi et Tirmania nivea associées à H. hirtum et T. claveryi associée à H. lipii. Les deux autres espèces, sont rares et se produisent dans des sites précis et non pas dans toute la zone. Elles sont Terfezea boudieri associée à H. lipii var. sessiliflorum et H. ledifolium et Picoa juniperi associées à H. lipii.
Deux autres espèces moins connues dans la région, ont été rencontrées en 2013. Il s’agit de T. Olbiensis dans la forêt de Beni Yaala à Jerada sous Pinus halepensis et Terfezea leptoderma collectée à Ain Béni Mathar associée à Helianthemum sp.
Les truffes se répartissent sur presque toute la région Nord-Est. Elles s’étalent sur de vastes étendus d’Oujda comme limite Nord à Figuig comme limite Sud-Est et de la frontière algéro-marocaine à l’Est jusqu’à la province d’Errachidia au Sud. Et depuis Guercif au Nord-Ouest à la Haute Moulouya à l’Ouest.
La région connaît aussi une expérience de culture de la truffe noire Tuber Melanosporum par le Docteur Abdelaziz Laqbaqbi dans sa ferme à Debdou depuis l’an 2000. Des plants inoculés de chêne vert ont été importés de France et plantés dans une vallée semi-aride et sur sol calcaire. La truffe est cultivée dans des cuvettes autour des arbres taillés en têtards.
Le Sahara marocain
Situé au Sud du pays, le Sahara marocain est une grande étendue (46,5 millions ha) caractérisée par un climat typiquement saharien (précipitations moyenne de 50 mm/an), des sols calcaires, limoneux et peu profonds et une végétation steppique pastorales peu dense. Cependant, la zone présente une assez grande diversité d’écosystèmes, due à l’ampleur de la zone et aux variations géographiques (wadis, regs, hamadas, sebkhas, dunes). Cette diversité constitue la base des activités d’élevage, notamment pour les camelins, habitués à faire bon usage des différentes plantes sur de longs parcours.
Les enquêtes et les observations de terrain ont confirmé que la zone est connue par la production de 2 espèces de truffes: Tirmania pinoyi et Tirmania nivea associées à Helianthemum hirtum, H. lipii, H. ledifolium et H. apertum. Les observations de terrain ont montré que deux autres espèces de truffes sont aussi présentes dont le Sud du pays et qui sont T. claveryi et Picoa juniperi associées à Helianthemum lipii.
Autres zones productrices de truffes
La production des truffes au Maroc ne se limite pas à ces quatre grandes régions. En effet, d’autres zones de surfaces limitées et éparpillées sur le territoire national sont aussi productrices de truffes dont les productions sont rares et irrégulières selon les conditions climatiques. La quantité et la répartition des précipitations sont déterminantes pour la production des truffes.
Le Moyen Atlas est l’une de ces zones dont les forêts de chêne vert abritent des truffes appartenant à celles appelées «les vraies truffes» du genre Tuber. Les espèces existantes sont Tuber excavatum, Tuber brumale, Tuber rufum et Tuber uncinatum/aestivum récoltées en novembre 1960 et en mai 2014. La zone connait aussi une expérience de la culture de Tuber Melanosporum sous chêne vert à Imouzzer du Kandar depuis 2008.
Nos enquêtes viennent confirmer les observations de plusieurs auteurs que les truffes existent aussi dans les régions du Tangérois (Tanger), Loukkous (Larache), Souss (Agadir), Drâa (Ouarzazate) et les plantations de la ceinture verte au Sud de Rabat. Ces zones sont peu connues parce que les productions sont sporadiques et occasionnelles.
Productivité des truffes au Maroc
La productivité des truffes varie d’une région trufficole à l’autre, en relation avec plusieurs facteurs, dont principalement le type de sol et les précipitations annuelles qui déterminent le développement des plantes hôtes. Les observations et les enquêtes de terrain ont montré que cette productivité est intimement liée à la pluviométrie et sa répartition. Les pluies de fin été-début automne et celles hivernales sont déterminantes pour une bonne production. La productivité varie aussi à l’intérieur de la même région, où certaines zones sont très productives tandis que d’autres le sont moyennement ou rarement. Les enquêtes et les ateliers avec les personnes ressources et les collecteurs des truffes ont permis de classer, d’une manière relative, les zones en trois classes (Figure 2):
Fortement productive: la période de production s’étale sur tout le cycle des truffes (3 à 4 mois), les collecteurs estiment qu’ils ramassent des quantités importantes, le commerce des truffes est très développé durant la saison des truffes;
Moyennement productive: les truffes sont présentes durant une période moins longue (2 à 3 mois), les quantités ramassées sont moins importantes et le marché est moyennement développé;
Faiblement productive: sporadiquement les truffes se produisent dans la région, très irrégulières entre les années, les quantités ramassées sont très faibles, le commerce n’est pas intéressant et les truffes sont autoconsommées.
Les zones fortement productives au niveau du pays sont la forêt de la Maâmora, la partie Nord de la région Nord-Est, la partie Nord du Sahel Doukkala-Abda et le centre du Sahara marocain. Les zones moyennement productives sont la partie Sud du Sahel Doukkala-Abda, le centre et l’extrême Sud de la région Nord-Est et la partie Nord-Ouest du Sahara. La productivité devient de plus en plus faible en allant vers l’Ouest dans la région Nord-Est et vers l’Est et l’extrême Sud du Sahara marocain.
L’analyse des données recueillies indique que la production des truffes dans le Royaume du Maroc a connu ces dernières années une baisse remarquable, due à la succession des années de sécheresse, surtout dans la région du Nord-Est et dans le Sud et Sahara marocain. Cela montre que cette ressource est fortement vulnérable au changement climatique et qu’elle suit les variations inter et intra-annuelles des précipitations dans les zones trufficoles.
Analyse SWOT de la filière des truffes au Maroc
En appliquant la matrice SWOT (Strength, Weakness, Opportunity, Threats = Forces, Faiblesses, Opportunité, Menaces) à la filière des truffes marocaines, on a pu déterminer les caractéristiques positives et négatives internes et externes de la ressource elle-même et de la filière. Cette étape a permis de préciser les points sur lesquels toute intervention et toute action de valorisation pourra être basée afin d’être efficace. Une valorisation bien pensée et bien appliquée pourrait conduire à la protection de la truffe, à l’amélioration des conditions de vie de la population locale et à la préservation de l’environnement naturel producteur pour une durabilité de la ressource.
Diagnostic interne
Forces
Les truffes sont dotées d’un nombre très important d’atouts sur lesquels le développement de la filière peut être basé. Leur nomination en tant que produit de terroir peut augmenter la compétitivité des territoires producteurs en offrant à ces derniers une identité territoriale spécifique. Le lien tissé entre le produit et son terroir permettra de lutter contre la marginalisation spatiale et économique des espaces ruraux réputés désormais par l’originalité de l’un de leurs produits. Contrairement à d’autres produits dont le processus de production passe par plusieurs étapes et demande un traitement spécifique, la truffe constitue un produit offert par la nature sans aucune intervention humaine. Elle est adaptée aux conditions climatiques difficiles et constitue une composante importante de la flore mycologique des forêts et des parcours arides et semi-arides.
La diversité des espèces qui sont de l’ordre de 12 espèces de celles dites «truffes du désert» et de 5 espèces des vraies truffes, et les grandes étendues de production entre forêts, steppes et terrains de parcours garantissent une production élevée, ce qui permet de répondre à la demande des exportateurs en quantités et en espèces. Cette demande extérieure est déjà très élevée. Ainsi, les truffes participent aux entrées en devises étrangères à travers l’exportation de presque toute la production selon différentes catégories, dont les truffes séchées qui ne risquent pas d’être endommagées ou pourries.
Quant aux pays de destination, il s’agit surtout des pays du Moyen Orient (Arabie Saoudite, Koweït), Syrie et de l’Europe (France et Espagne). Cette importance des exportations est traduite par une dynamique économique dans les régions trufficoles permettant aux différents intervenants de la chaîne de commercialisation d’en tirer profit avec une différence de la marge bénéficiaire. Dans certaines zones, la collecte et la vente des truffes constituent pour certains la seule source de revenus, surtout pour les femmes qui s’en servent pour répondre aux besoins quotidiens de leurs ménages. Dans ce cas, l’argent gagné est dépensé le jour même du souk hebdomadaire où s’est passé la vente. Pour d’autres, cette activité constitue un complément de revenu. Dans certains endroits, où les quantités collectées sont assez élevées ainsi que le bon prix de vente, cette activité a permis à certaines familles d’en tirer une richesse.
La truffe constitue un symbole des relations entre l’homme, la nature et la tradition. Le savoir-faire lié à la connaissance et la différenciation entre les espèces en se référant à la couleur, la plante hôte et le lieu de provenance, à la collecte, au stockage et aux préparations culinaires et médicinales constitue un patrimoine culturel et présente une possibilité d’attraction sur laquelle la promotion de plusieurs types de tourismes peut être basée. Ainsi, on peut évoquer le tourisme rural, l’écotourisme, le tourisme culturel, le tourisme culinaire et de l’agritourisme. Ce dernier, peut être développé dans les zones qui connaissent actuellement la culture de la truffe noire Tuber melanosporum, à savoir, Debdou et Imouzzer Kandar. Cette expérience réussie, conjuguée à la forte demande pour les vraies truffes et leurs prix élevés encouragent l’extension des truffières cultivées et d’essayer la culture d’autres espèces existantes à l’état naturel dans les forêts du chêne vert du Moyen Atlas (Tuber aestivum, T. brumale et T. rufum). Le souci n’est pas purement matériel, mais surtout environnemental. Et ce, afin de faire face à la régression des espaces et des peuplements forestiers à travers le reboisement par une espèce locale adaptée aux conditions climatiques et édaphiques du pays et surtout résistante aux effets du changement climatique (chêne vert).
En effet, la truffe représente un organisme mystique portant à la fois des aspects culturels, commerciaux et sociaux. Sa capacité à faire partie des aliments des aristocrates et à assurer au même temps la nourriture des classes sociales les plus défavorisées en temps normal et durant les guerres est vraiment surprenante. Elle a été servie sur les tables les plus luxuriantes des pharaons, rois, présidents, empereurs et tsars. Elle a été utilisée par les nomades comme substituant de la viande. Et elle a assuré les besoins en alimentation de la population en Irak durant la guerre en 1970. Au Maroc, la truffe a été servie sur la table du grand vizir Sid Ahmed ben Mousa ben Ahmed au temps du Sultan Moulay-Ab-el-Aziz ben Hassen ben Mahomed. Al-Koni (1992) a dit: «Une fois qu’un homme a essayé de tels terfez, il passe le reste de sa vie à vouloir les goûter à nouveau». La médecine Prophétique témoigne de l’efficacité antimicrobienne des extraits des truffes contre les maladies oculaires. D’après Saïd Ibn Zayd (qu’Allah l’agrée), le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a dit: «la truffe fait partie de la manne et son jus est une guérison pour l’œil» (Rapporté par Boukhari dans son Sahih n°4478 et Mouslim dans son Sahih n°2049).
Faiblesses
Les faiblesses peuvent être divisées en deux grands axes. Le premier concerne le champignon lui-même et le deuxième concerne l’organisation de la filière. En effet, la truffe constitue un produit sensible au contact à la main et aux odeurs et peut facilement pourrir. Certaines méthodes de collecte conduisent à briser la truffe, à déraciner la plante hôte et à perturber l’espace naturel de production. Au niveau de la Maâmora, et afin de collecter le maximum des quantités possibles, les gens ont commencé à utiliser des sapes pour chercher les truffes en relation avec des arbres, ces espèces sont difficiles à détecter en absence d’une plante hôte herbacée. Cette pratique affecte négativement la durabilité du produit en ruinant son habitat naturel et par destruction des spores en remuant la terre. Les connaissances individuelles disparates et contradictoires, surtout en ce qui concerne le cycle de vie et le processus de reproduction de la truffe représentent un mystère non déchiffré par la population collectrice et ne font qu’aggraver la situation. Certains collecteurs ne sont pas conscients des conséquences de leur façon de faire. La pourriture facile du produit constitue une contrainte majeure pour les collecteurs qui doivent garder les truffes en bon état durant 6 jours puisque la vente se fait aux souks hebdomadaires le 7ème jour. Pour cela, ils les mettent dans le sol et les couvrent avec de la terre (sable) comme dans leurs habitats naturels. Dans ce cas, la situation se complique aussi pour les grossistes qui doivent exporter les quantités achetées le jour même à leur destination finale. Dans certaines régions, telles que la région de l’Oriental et le Sahara marocain, les grossistes procèdent par l’achat auprès des collecteurs chaque jour dans les lieux de collectes afin d’exporter les truffes toutes fraîches. L’exportation des truffes séchées ou en conserve ne pose pas de problème.
En ce qui concerne la filière truffe, il est à noter qu’elle ne jouit d’aucune organisation ou réglementation. Le marché est contrôlé par les grossistes qui font les prix de vente des truffes selon la demande extérieure et la marge bénéficiaire qu’ils cherchent à gagner. Ceci rend les collecteurs le maillon le plus faible de la chaîne de commercialisation, alors qu’ils sont ceux qui sont le plus dans le besoin. L’espoir de grands rendements financiers ainsi que la concurrence entre les collecteurs d’un côté et des grossistes de l’autre ont favorisé un air de tromperie et de tricherie dans certains niveaux de la gestion de la filière, surtout qu’il n’y a pas de loi spécifique à la filière des truffes. En effet, toutes les étapes allant de la collecte à la commercialisation au niveau local ne suivent aucune réglementation. En fait, Les champignons dont fait partie la truffe sont gérés comme les autres produits forestiers non ligneux par le Dahir du 20 hija 1335 (10 Octobre 1917) sur la conservation et l’exploitation des forêts. Des amendes sont fixées contre l’extraction ou l’enlèvement non autorisé de matériaux, broussailles et des produits quelconques des forêts. Dans d’autres pays, conscients de l’importance de ce produit dans le développement socio-économique, les truffes bénéficient de textes législatifs spécifiques relatifs à la récolte, la commercialisation et l’exportation. En France par exemple, ces textes précisent même le matériel autorisé pour l’extraction de la truffe du sol et l’ouverture et la fermeture de la saison de récolte. Un code pénal a été mis en place en 2012 pour le vol des truffes dans les truffières des autres; le voleur est pénalisé de trois ans de prison et de 45 000 € d’amende.
Plusieurs tentatives d’organisation et de valorisation de la filière dans les quatre régions du Maroc ont été mises en œuvre, mais elles ont échoué. Ces tentatives ont consisté à la mise en place de dépôts de stockage et de conditionnement des truffes ainsi que la création de coopératives. Les raisons des échecs sont à la fois naturelles et humaines. L’irrégularité de la production, la divergence des opinions et les conflits d’intérêts entre les différents intervenants ont conduit au dysfonctionnement de toutes les actions mises en œuvre. Seules deux coopératives, de nature familiale, sont actives actuellement et dont les expériences peuvent être jugées de réussies, l’une est située dans la commune d’Oulad Ghanem, province d’El Jadida, et l’autre dans la ville de Laâyoune. La prise de conscience de l’importance économique des truffes a conduit à une augmentation remarquable du nombre d’intervenants (collecteurs, intermédiaires, grossistes), ce qui a engendré une forte pression sur la ressource.
Il est à noter aussi que les études qui ont abordé les truffes marocaines sont peu nombreuses et sont généralement d’ordre taxinomique, floristique et cytologique. Les truffes sont relativement bien connues sur leurs aspects botaniques et écologiques, mais elles sont très peu connues du point de vue répartition géographique aux échelles régionale et nationale, productions, commercialisation, rôles socio-économiques et possibilités de valorisation. Les études ayant porté sur ces aspects sont très rares et ne peuvent pas donner une vision globale et intégrée sur tous les aspects concernant les truffes à l’échelle nationale et encore moins à l’échelle régionale.
Tous ces points faibles rendent difficile de définir une stratégie commerciale et se projeter à l’avenir à propos de la filière des truffes.
Diagnostic externe
Opportunités
Les opportunités qui se présentent devant les truffes sont assez importantes. L’intérêt accordé dernièrement aux produits de terroir dont font partie les truffes est encourageant. Ainsi, plusieurs stratégies et plans de développement agricole ont été initiés par le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche Maritime, dont le Plan Maroc Vert. Une division des produits de terroir et une division de la labellisation ont été créées au niveau de la Direction de Développement des Filières de Production. Leur importance dans le développement a été encore soulignée par les nouvelles stratégies lancées par le Royaume du Maroc «Generation Green» et «Forêts du Maroc 2020-30» et mises en œuvre par le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement Rural et des Eaux et Forêts. Plusieurs textes juridiques ont été promulgués, parmi lesquels la loi n° 25-06 relative aux signes distinctifs d’origine et de qualité (SDOQ), la loi n° 28-07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires et la loi n° 39-12 relative à la production biologique. Toutes ces actions témoignent de la volonté des institutions de développement pour la mise en valeur de ces produits de terroir.
La demande des truffes dans les marchés extérieurs est en croissance continue. Le fait que la truffe marocaine a conquis les marchés du Moyen Orient et d’Europe a conduit à une augmentation remarquable des prix de vente. Certains de ces pays importateurs sont aussi producteurs des mêmes espèces que le Maroc mais leurs productions ont diminué, pour les uns à cause de la sécheresse et pour d’autres à cause de la guerre qui a détruit les champs de production (Irak, Koweït). C’est dans ce sens qu’ils compensent leur production par l’importation. Une forte demande provient également de la communauté juive au Maroc et ailleurs.
Ces derniers temps et avec toutes les transformations que le monde a connu, on note une orientation mondiale vers les produits cosmétiques naturels ou biologique et un recours de plus en plus frappant à la médecine traditionnelle afin d’éviter les méfaits des substances chimiques synthétiques. Cet attrait pour les produits naturels constitue une opportunité majeure offerte à la truffe pour jouer un rôle dans la pharmacopée traditionnelle en faisant valoir les recettes des ancêtres. En effet, les recherches scientifiques qui se focalisant sur la valeur nutritive et les vertus médicinales de la truffe deviennent de plus en plus nombreuses.
Des études réalisées sur les truffes ont démontré que la plupart représentent des traitements nouveaux et efficaces contre différents types de cellules tumorales grâce aux effets anticancéreux de leurs composants. La capacité de la truffe à lutter contre les bactéries et à traiter les maladies des yeux tel que le trachome a aussi été confirmée. En médecine vétérinaire, la truffe a confirmé sa capacité à guérir centaines maladies chez le bétail. Ainsi, elle est utilisée pour traiter la métrite (inflammation de la paroi de l’utérus) et la mammite (inflammation des mamelles) ou d’autres inflammations extérieures. Des nomades rencontrés dans le Sahara marocain nous ont confirmé que la poudre de la truffe séchée est efficace pour guérir les tumeurs des mamelles de la chamelle, la vache et la chèvre.
Quant à la valeur nutritive, plus de 75% de la masse de la truffe est constituée d’eau et peut même atteindre 81%, tandis que le reste constitue la matière sèche composée de jusqu’à 60 % de glucides, 20 à 27 % de protéines, 3 à 7,5 % de matières grasses, 7 à 13 % de fibres et 2 à 5 % d’acide ascorbique. Cette composition moyenne peut varier selon l’espèce, l’âge, la région, le type de sol et les facteurs climatiques.
Consciente de ce changement dans les habitudes et leur vision vers l’utilisation des produits qualifiés de Bio, une coopérative nommée «Ahl Baganna» à Laâyoune a procédé à la fabrication de crèmes à base des truffes du désert et de la graisse de chèvre et de chameau et de la cire d’abeille pour soigner l’arthrose.
Menaces
Les menaces qui peuvent avoir un impact négatif sur la durabilité de la truffe sont à la fois naturelles et anthropiques. Pour ce qui est des naturelles, on note les effets des changements climatiques à travers des sécheresses fréquentes, de plus en plus intenses et longues engendrant une rareté de la pluie dont dépendent la production et la productivité des truffes. On note donc une diminution des quantités et de la durée de la période de production. En 2022, jusqu’à mars on a noté une absence totale de la truffe dans les souks hebdomadaires et chez des collecteurs dans la forêt de la Maâmora.
Pour ce qui est des menaces anthropiques, la croissance démographique traduite par l’augmentation de la population, surtout dans les zones rurales, la difficulté des conditions de vie dans ces régions et la rareté des offres d’emploi poussent de plus en plus les populations à s’orienter vers la collecte des truffes, ce qui engendre une forte pression surtout dans les zones où l’espace de production n’est pas assez grand et les quantités produites ne sont pas assez élevées. L’augmentation de la population est toujours accompagnée de pratiques dégradantes de l’environnement. Ainsi, on note la transformation des terres forestières et des terres de parcours en terres agricole. La déforestation et le déracinement des plantes hôtes perturbent l’habitat naturel de la truffe. En outre, elle ne se produit pas dans les terres labourées. La sédentarisation des nomades engendre aussi la disparition du libre accès aux parcours par l’appropriation de ces terres converties par la suite en des zones de culture. A ceci s’ajoute l’urbanisation qui engendre la fragmentation des écosystèmes forestiers et pastoraux qui sont exploités dans la réalisation de projets urbanistiques, industriels ou touristiques. Ainsi, les espaces forestiers et pastoraux sont en train de perdre leurs valeurs biologiques.
L’augmentation de la taille du cheptel représente aussi l’une des conséquences de la croissance démographique. Le risque de la présence du bétail dans les zones productrices réside dans le broutage de la plante hôte de la truffe, généralement de l’Helianthemum. Au niveau du Sahel Doukkala-Abda par exemple, depuis quelques années les collecteurs se plaignent du surpâturage causé par les troupeaux des nomades venant de Tan-Tan, Smara, Tiznit, Guelmim et Taroudant. Traditionnellement, les nomades avaient l’habitude de camper seulement dans les forêts où ils ébranchent les arbres pour nourrir le bétail durant l’été et les périodes de sécheresse. Actuellement, ils dressent leurs tentes partout dans la région (dans et hors forêts) et durant toute l’année. Les animaux broutent les plantes associées aux truffes ce qui réduit la régénération de la truffe dans la zone. La forêt de la Maâmora connaît aussi une forte pression du bétail appartenant à la population usagère, les troupeaux broutent la plante hôte de la truffe, surtout durant les années de sécheresse. Quand la pluviométrie est bonne, la strate herbacée devient très développée et donc les troupeaux trouvent d’autres espèces à brouter loin de l’hélianthème qui est peu palatable. Mais quand il ne pleut pas suffisamment, même l’Helianthemum est brouté.
Analyse SWOT |
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Forces |
Faiblesses |
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Opportunités |
Menaces |
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Conclusion et recommandations
Le Maroc est parmi les pays les plus connus par la production des truffes dites du désert. Ainsi, on compte une dizaine d’espèces des genres Terfezia, Tirmania, Delastria, Picoa et Tuber qui se différencient par la couleur, la forme, la plante hôte, les condition climatiques et édaphiques et la zone de production. D’autre espèces du genre Tuber, dites les vraies truffes, généralement de couleur sombre, ont été aussi signalées, mais leur production n’est pas régulière et elles ne sont pas abondantes.
La production des truffes concerne quatre principales zones trufficoles du Royaume:
- La forêt de la Maâmora connue par la production de 5 principales espèces, Terfezea arenaria, Terfezea leptoderma, Tuber asa, Tuber oligospermum et Delastria rosea;
- Le Sahel Doukkala-Abda connu par la production de Terfezea boudieri, Tirmania pinoyi et de Tuber Oligospermum;
- La région Nord-Est connue par la production de 5 espèces, Tirmania Pinoyi, Tirmania nivea, Terfezia claveryi, Terfezea boudieri et Picoa juniperi. Une expérience de culture de la truffe noire, Tuber Melanosporum, y a été introduite par le Docteur Abdelaziz Laqbaqbi dans sa ferme à Debdou depuis l’an 2000;
- Le Sahara marocain connu par la production Tirmania pinoyi, Tirmania nivea, Terfezia claveryi et Picoa juniperi.
Pour les «vraies truffes» du genre Tuber, elles ont été récoltées dans les forêts de chêne vert dans le Moyen Atlas et les espèces existantes sont Tuber excavatum, Tuber brumale, Tuber rufum et Tuber uncinatum (/Tuber aestivum) récoltés en novembre 1960 par Malençon et en Mai 2014 par Laqbaqbi. La zone connaît aussi un essai de culture de Tuber Melanosporum par le Docteur Laqbaqbi à Imouzzer du Kandar depuis l’an 2008.
La connaissance des espèces des truffes existantes au Maroc, ainsi que leur répartition géographique précise et leur productivité peuvent contribuer à leur valorisation. En ce sens, les cartes produites de leur répartition spatiale et de leur productivité sont des outils qui vont aider à la prise de décision.
L’analyse SWOT effectuée sur la filière des truffes au Maroc a permis de constater que la truffe est caractérisée par de nombreuses qualités et points forts qui peuvent être exploités pour sa valorisation. Les opportunités viennent appuyer les atouts et ouvrent plusieurs horizons à suivre pour augmenter les chances et pour diversifier les chemins à prendre vers cette valorisation. Quant aux faiblesses, elles ne présentent pas de vrais dangers, une bonne gestion basée sur une bonne connaissance et qui impliquent les différents acteurs pourra diminuer, voire éliminer ces points négatifs et les transformer en points positifs. Et enfin, pour les menaces, elles peuvent être contrôlées et limitées sauf pour les menaces naturelles. Cependant, pour la raréfaction des précipitations liée au changement climatique, des mesures d’adaptation peuvent être identifiées dans le cadre du développement rationnel de la trufficulture.
À la lumière de cette analyse on propose:
- Projet de loi spécifique à la truffe: l’adoption d’une loi spécifique à la truffe en tant qu’un produit forestier non ligneux indispensable à la durabilité de la biodiversité et en tant qu’un produit de terroir indispensable au développement local et régional du pays. Cette loi aura la capacité de faire face aux abus commis par les différents intervenants dans ce domaine et à tous les niveaux d’intervention, de la collecte à l’exportation;
- Un marché typique de la truffe: la mise en place d’un marché typique propre à la truffe au niveau des zones les plus productives contribuera à l’organisation de la filière au niveau de la commercialisation et à la connaissance de la truffe auprès du public et des touristes. La vente des truffes au niveau des marchés typiques qu’on propose peut-être garantie par des coopératives et associations qui existent déjà ou à créer. Les unités agro-alimentaires peuvent approvisionner le marché en truffes de conserve. Le marché peut être organisé selon trois principaux pavillons: pavillon de la truffe à l’état frais, pavillon des produits dérivés de la truffe et pavillon de l’art culinaire;
- Orientation vers la trufficulture: Une orientation vers la culture des truffes des deux catégories, les vraies truffes et les truffes du désert, pourra contribuer au développement durable du pays, en conciliant l’amélioration du niveau social de la population, le développement socio-économique et la protection de l’environnement en faisant partie de l’agro-écologie. Le développement du secteur touristique est aussi souhaité, et ce par la promotion de l’agritourisme, qui permettra aux visiteurs des exploitations de découvrir un savoir-faire particulier et de vivre l’expérience de cavage lors de la saison de production;
- Développement de la recherche scientifique relative aux truffes: le développement de projets de recherche intégrée sur les truffes aux niveaux régional et national fédérant les universités et les instituts spécialisés permettrait d’identifier d’autres composantes et vertus des truffes diversifiées conduisant à une meilleur utilisation et valorisation de la ressource.
Principales destination export de la truffe Marocaine
Les truffes marocaines sont destinées aux pays du Moyen Orient et de l’Europe où elles sont très demandées et appréciées. Pour les pays du Moyen Orient, ce sont les truffes blanches appartenant au genre Tirmania présentes au Sahara marocain et dans la région de l’Oriental qui constituent les plus importantes quantités exportées.
Les pays les plus concernés par l’importation des truffes marocaines sont l’Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn, Emirats Arabes unis, Qatar, Syrie et Palestine. Plusieurs raisons résident derrière cette préférence. Ces pays sont aussi producteurs de ces espèces de truffe mais leurs productions ont diminué, pour les uns c’est à cause de la sécheresse et pour d’autres c’est à cause de la guerre qui a détruit les champs de production. C’est dans ce sens qu’ils compensent leur production par l’importation.
La considération de la truffe comme aliment de prestige contribue aussi à l’augmentation de la demande pour qu’elle soit sur les tables des familles riches de ces pays. La valeur nutritionnelle et la qualité aphrodisiaque attribuées aux truffes constituent également les raisons qui justifient la forte demande sur ce produit.
Les autres espèces appartenant au genre Terfezia sont demandées en Europe, et spécialement en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne pour garnir leurs plats. L’espèce de la Maâmora Tuber oligospermum du genre Tuber est le plus souvent exportée en Espagne et en Italie pour sa ressemblance à l’une des vraies truffes, Tuber magnatum, appelée la truffe blanche.
La trufficulture au Maroc
Introduction
La diminution de la production naturelle des truffes, ainsi que la demande de plus en plus importante, ont poussé les producteurs à travers le monde à s’orienter vers la trufficulture.
La truffe noire, Tuber melanosporum, à cause de ses vertus et sa grande valeur monétaire est l’une des truffes les plus prisées. Elle constitue la truffe la plus cultivée, même dans les pays non turficoles. Ainsi, à partir des année 50, la trufficulture devient commune et populaire dans plusieurs pays qui cherchent à améliorer leur production. Ainsi, en France, Italie et Espagne la production naturelle ne constitue plus qu’un faible pourcentage de la production totale.
Le Maroc est le premier pays d’Afrique du Nord à avoir introduit en 2000 la culture du Tuber melanosporum par le docteur Abdelaziz Laqbaqbi, un médecin qui a fait ses études en France. Après une étude de faisabilité de l’introduction de la truffe noire à Debdou, son village familial en pleine forêt de chêne vert sur sol calcaire, il a introduit et planté des plants de chêne vert produits et inoculés en France. Six ans après, en 2006, les premières truffes noires cultivées ont été récoltées au Maroc. La réussite de cette expérience a encouragé le Médecin pour l’installation de deux autres fermes truffières à Imouzzer Kandar, dans le causse moyen atlasique. Il est à mentionner que le Maroc connait la production naturelle de certaines espèces des vraies truffes dans les forêts de chênes verts au Moyen Atlas. Il s’agit de T. excavatum, T. brumale, T. rufum et Tuber uncinatum/aestivum.
Présentation des fermes truffières
La ferme de Tifezouine à Debdou
C’est la première ferme qui a reçu en l’an 2000 les 1000 plants de chêne vert produits et inoculés en France. Ces chênes ont été plantés sur 4,2 ha avec une densité de 238 plants/ha avec un espacement de 6m×7m. Elle est située dans la commune de Sidi Ali Belkacem au niveau de la province de Taourirt relevant de la région de l’Oriental. Elle est installée dans une enclave forestière sous forme d’une cuvette. Elle surplombe la ville de Debdou à l’amont de la vallée d’oued Sellawit, un affluent d’Oued Debdou. Le sol est de nature brun calcaire, profond et riche en matière organique. Le climat est semi-aride à variante fraiche et se classe parmi les climats continentaux. C’est un climat d’altitude modéré (900 – 1000 m) et pluvieux. La pluviométrie totale annuelle est de 400 à 550 mm lors des années normales et la température moyenne est de 18,1 °C.
La ferme dont la grande partie est couverte de chêne truffier, connait aussi la culture de certains arbres fruitiers, tels que le poirier et du maraichage. Elle est dotée d’une source d’eau qui a facilité l’irrigation des plantations, surtout durant les premières années. Autour de la ferme, il y a de vastes étendues du chênes verts forestiers naturels.
La ferme de Ain Jarrah
La ferme est située dans la commune rurale de Ait Sebaa Lajrouf, non loin de la municipalité d’Imouzzer Kandar au niveau de la province de Sefrou relevant de la région de Fès-Meknès. C’est la deuxième ferme installée après la réussite des plantations truffières de Tifezouine. Le terrain de 12 ha appartient à l’administration des eaux et forêts et il a été octroyé à M. Laqbaqbi sous forme d’occupation temporelle depuis 2008. Les condition climatiques et édaphiques proches de celles de Debdou ont fait de la région une zone de choix. Ainsi, les précipitations sont de 690 mm/an et les températures moyennes annuelles varient de 27 à 35°. Le terrain a connu une opération d’épierrage pour évacuer les grosses pierres. La ferme qui ne contient que des arbres de chêne vert truffier marocain est entourée d’un brise vent à base de cyprès commun (Cupressus sempervirens).
La ferme de Ain Chiffaa
Non loin de la deuxième ferme, un terrain de 1000 ha appartenant au Habous a été loué par Dr. Laqbaqbi en 2015 pour installer la troisième ferme. La parcelle qui a les mêmes conditions climatiques et édaphiques que les précédentes se situe aussi dans la commune rurale de Ait Sebaa Lajrouf au niveau de la province de Sefrou.
Les chênes verts truffiers plantés sont d’origine marocaine et précisément de Debdou. Leur mycorhization a été faite en France. La ferme est entourée d’une haie mixte constituée d’oliviers et d’une murette en pierres issue de l’épierrage du terrain. Elle contient quelques pieds de palmiers nains et quelques grenadiers. Une parcelle de la ferme est destinée à la culture du Safran.
Opérations culturales
Installation de la truffière
- Épierrage et nivèlement du terrain avant installation de la culture;
- Trous de 50 x 50 x 50 cm avec espacement des arbres de 6 × 7 m en lignes;
- Plantation de chênes verts truffiers inoculés;
- Confection de cuvettes, de 1 m de diamètre, autour de chaque arbre pour les eaux d’irrigation et de pluie;
- Les chênes truffiers entrent en production à partir de la 3ème ou la 4ème année après leur plantation.
Opérations annuelles
- Irrigation intensive en été, 60 litres tous les quinze jours (mico-asperseurs);
- Désherbage de la parcelle chaque printemps et chaque mois dans la cuvette des arbres;
- Récolte (Cavage) commence début décembre et dure jusqu’à fin mars. Les chiens dressés reniflent la présence des truffes qui sont ensuite détérées manuellement;
- Après récolte, binage à la sappe autour des arbres;
- Après binage, ensemencement annuel des arbre (Confection de «pièges à truffes» soit des trous de 20 cm de diamètre et de profondeur, remplis d’un mélange de substrat amendé en carbonate de calcium et de spores de la truffe noire).