L’EPEAUTRE: une culture menacée dans la zone nord du Maroc
Introduction
Il existe plus d’une quinzaine d’espèces de céréales proches parentes du blé commun (Triticum aestivum). Le groupe des blés vêtus sont communément appelés épeautres, terme englobant trois espèces, le petit épeautre ou engrain diploïde (T. monococcum), l’épeautre de Tartarie ou amidonnier tétraploïde (T. dicoccum) et le grand épeautre hexaploïde (T. spelta).
Depuis des milliers d’années, l’histoire du petit épeautre est étroitement liée à celle des civilisations méditerranéennes. Véritable ancêtre des céréales modernes, les premières traces de sa culture datent de 9000 ans avant JC.
Consommé en abondance jusqu’à l’époque romaine, puis abandonné au profit des blés froments pour des raisons de rendement, le petit épeautre ou Engrain fut redécouvert il y a quelques d’années.
L’engrain est un blé bien adapté aux sols chauds et secs, pauvres, pierreux et sableux des zones montagneuses. C’est une espèce à saison végétative longue. Ce fait, ainsi que ses faibles rendements, constituent les principaux freins à sa culture. Les rendements escomptés sont très variables, allant de 6 à 36 qx/ha. La proportion de balle (enveloppe de la graine) dans le grain est de 27% en moyenne. La paille produite est appréciée pour sa bonne qualité et utilisée dans la confection de paniers et de chapeaux en Italie et de matelas, de toits et de bâts de mulets (Berdâa) au Maroc.
Le petit épeautre (ou engrain) a été largement cultivé dans les régions montagneuses du Rif Marocain. Sa culture a régressé très rapidement à cause de la difficulté d’extraction du grain et de l’extension des tôles de toiture en zinc. Dans le cadre d’un projet PROTARS, une collecte et une caractérisation des populations locales ainsi qu’une étude ethnobotanique sont en cours pour contribuer à la sauvegarde de cette ancienne culture en voie de disparition.
Le petit épeautre est une plante rustique qui ne nécessite ni engrais, ni pesticide, ni désherbant et a besoin de très peu d’eau. Il n’a été soumis à aucun travail de sélection, ses rendements se situent entre 10 à 15 quintaux de produit fini par ha. Son grain vêtu impose un travail de transformation: décorticage, blanchiment.
Valeur nutritive de l’épeautre
Le petit épeautre est riche et équilibré en éléments minéraux: 4 fois plus de magnésium que le riz brun, 5 fois plus de phosphore que le soja. Cent grammes de petit épeautre apportent l’équivalent en calcium de 2 verres de lait. Sa teneur en protéines apporte les huit acides aminés essentiels dans le régime alimentaire quotidien d’un adulte. Il contient la lysine, souvent absente dans les céréales. De récentes recherches lui reconnaîtraient des vertus anti-diabétiques.
L’épeautre renferme tous les sels minéraux: sodium, calcium, potassium, magnésium, silicium, phosphore, soufre et fer. C’est l’aliment « anti-stress » par excellence, grâce à sa teneur en magnésium. Il est plus riche en vitamines B1 et B2 que le blé.
L’épeautre contient aussi plus de protéines, de graisses, de fibres brutes que le blé. Il contient également des glucides particuliers (mucopolysaccharides) qui jouent un rôle important dans la coagulation du sang et stimulent le système immunitaire. Il tonifie la rate et le pancréas. Les estomacs sensibles au blé tolèrent généralement bien l’épeautre. L’épeautre semble aussi très intéressant pour le bon fonctionnement de l’intestin grêle. Il favoriserait également le sommeil. Le petit épeautre se distingue aussi par sa très faible teneur en gluten.
Le grain s’utilise comme le grain de riz lorsqu’il est décortiqué. La soupe d’épeautre est traditionnelle dans certaines régions montagneuses du pourtour méditerranéen. La farine d’épeautre permet de produire un pain de saveur douce, plus fine que le blé. Les recettes réalisées à la farine d’épeautre offrent souvent une délicate saveur de noix. Dans les régions rifaines au Maroc, certaines familles consomment encore l’épeautre sous forme de soupe, pâtes (M’hamsa), crêpes (Baghrir) et pain en mélange avec la farine de blé. L’épeautre est également utilisé en région méditerranéenne comme substitut de café. Il serait indispensable à notre système nerveux et cardio-vasculaire en raison de sa grande richesse en sels minéraux.
La diététique contemporaine reconnaît à l’épeautre de comporter plus de cellulose et de sels minéraux (magnésium, phosphore, calcium) et moins d’amidon et de gluten que les autres céréales.
Culture de l’épeautre
La culture des différentes espèces d’épeautre a survécu dans certains endroits de la planète en dépit de l’apparition de variétés de blés à haut rendement, résistantes à la verse ou à certaines maladies. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit d’espèces parfois mieux adaptées ou encore parce que des fermiers ont eu le souci de préserver ces cultures traditionnelles.
Aujourd’hui, il existe toutefois d’autres raisons pour reconsidérer la culture d’épeautre. L’épeautre est en effet moins allergène que le blé commun. Ainsi, les personnes allergiques au blé ordinaire peuvent habituellement les tolérer. D’autre part, les différentes espèces d’épeautre sont sources de gènes de résistance à certaines maladies des blés. Dans d’autres cas, les épeautres offrent aussi l’avantage d’être mieux adaptés aux conditions de sols et de climat d’une région et ont donc des valeurs plus sures que des variétés de blés créées pour croître dans des conditions optimales. La culture d’épeautre supporte également les variations d’humidité et de température. L’epautre tolère les gelées lorsqu’il est semé avant l’hiver. La conservation du grain est plus facile que celle des autres céréales.
En agriculture biologique, les épeautres sont intéressants parce qu’ils se contentent de peu de fertilisation. La présence de la balle qui recouvre le grain permet aussi aux épeautres de mieux résister aux champignons lors de la germination en sols humides.
La culture de l’épeautre présente des opérations communes à toutes les céréales.
Le semis se fait souvent à la volée, suivi d’un passage à la herse ou à l’araire pour couvrir les grains. La moisson est effectuée à l’aide d’une faucille qui scie les tiges. Si la fragilité du rachis de l’épeautre favorise une coupe haute, tout près de l’épi, une seconde coupe, au ras du sol, est nécessaire pour récupérer la paille.
Le foulage est effectué par les animaux (chevaux, juments, mulets, et parfois bœufs) qui piétinent les épis étalés sur l’aire pour en faire sortir les grains. Le battage peut être effectué en complément du foulage, pour égrener les derniers épis. Il est plus lent et demande plus de main d’œuvre que le foulage. Ensuite, Le vannage permet de trier les impuretés et débris de paille.
La spécificité de l’épeautre et des autres céréales « vêtues » peut entraîner d’autres pratiques, destinées à parfaire l’émondage des grains: comme le grillage (ou torréfaction) pour aider à expulser les grains de leurs enveloppes, avant de les piler ou de les moudre, ou le meulage dans des moulins à rouleaux verticaux ou coniques mus par un animal, pour débarrasser le grain de sa balle sans le briser.
La diminution de la culture de l’épeautre semble bien avoir tenu, pour une part importante, à des raisons techniques: la nécessité du mondage. L’apparition d’une nouvelle demande écologique et diététique l’a remis à l’ordre du jour et a fait renaître la culture de l’épeautre en Europe, ce qui n’est pas encore le cas au Maroc.
Prof. O. BENLHABIB
Département d’Agronomie et d’Amélioration des Plantes IAV Hassan II – Rabat