Analyse prospective du risque pour les maladies transmises par les tiques
Les changements de l’utilisation du sol et par conséquent de la couverture végétale contribueront à de grandes modifications dans la structure et la fonction des écosystèmes. La modification des écosystèmes aura comme conséquence la modification possible de l’épidémiologie des maladies transmises par les tiques.
Risque d’augmentation des populations de tiques
La baisse constante de la disponibilité de main-d’œuvre, l’utilisation croissante et de longue durée d’herbe de pâturage, ainsi que la sècheresse, auront comme conséquence la création de secteurs de paysage plus fermés, et des changements substantiels de l’écosystème dans une partie non négligeable du pays.
L’amélioration agricole est traditionnellement synonyme d’une réduction significative des populations de tiques. Cependant, quand les tiques sont présentes dans un secteur, leur densité est étroitement corrélée à l’abondance du couvert végétal au niveau de ce secteur. Le taux d’humidité est une explication de la relation entre l’abondance du couvert végétal et la densité de la population des tiques, en particulier pour I. ricinus et B. annulatus. En conséquence, une quelconque dégradation du couvert végétal limite la population totale des tiques, certaines espèces ne pouvant survivre que dans un couvert végétal très abondant et très diversifié. Le changement global, incluant les modifications environnementales et le réchauffement atmosphérique, jouera également un rôle essentiel dans la répartition et la densité des populations de tiques.
L’influence du réchauffement climatique sur la transmission des maladies parasitaires exige davantage de recherche. Une augmentation de la température peut provoquer la migration des vecteurs, ou au contraire un développement significatif des parasites dans des secteurs où la température ambiante était précédemment trop basse. Les populations de tiques augmenteront, mais elles deviendront également plus dispersées dans certains secteurs. Ainsi, la distribution et la dynamique des maladies parasitaires transmises par les tiques sont fortement dépendantes de la répartition et de la densité des populations de tiques, qui sont elles-mêmes étroitement liées aux changements substantiels de l’écosystème dans les différentes régions du pays.
Risque d’augmentation du contact du bétail avec les tiques
Non seulement les populations de tiques risquent d’augmenter, mais également l’abondance du couvert végétal, ce qui induira plus de contact entre les animaux domestiques et les tiques. En fait, à l’avenir, le bétail utilisera davantage les pâturages près des haies, là où les tiques vivent. La diminution de la densité du bétail, due à de nouvelles techniques de gestion, pourra provoquer une diminution des hôtes disponibles pour les tiques adultes. La faune sauvage joue un rôle important dans le maintien et la multiplication de l’ensemble de la population des tiques.
Une augmentation du nombre des hôtes pourrait modifier les paramètres, et l’expansion de la population de tiques pourrait être sous-estimée, comme pourraient l’être les maladies parasitaires transmises par les tiques. La proximité entre la faune et les ruminants domestiques a pour conséquence leur contamination réciproque par des agents infectieux (Babesia ou Theileria) et leur transformation en réservoirs potentiels.
Risque d’exposition accrue aux parasites transmis par les tiques
Au Maroc, la situation endémique de la babésiose bovine et de la theilériose semble globalement instable. Des fermes à gros risque avec une séroprévalence variant de 10 à 75% ont été considérées à situation endémique instable. Ces fermes présentent un risque significatif de maladie puisqu’un nombre suffisant d’animaux sont susceptibles, et les taux d’inoculation des tiques infectées sont assez élevés pour causer la maladie clinique à moyen terme, et peut-être aussi à long terme mais avec un risque moindre. En fait, l’augmentation prévue du contact entre les animaux et les tiques infectées peut mener paradoxalement à une situation endémique stable, dans la mesure où une proportion suffisante du troupeau aura développé une immunité contre les agents pathogènes Babesia ou Theileria.
L’infestation massive peut aussi avoir un effet immunodépresseur se traduisant chez l’hôte par le développement d’autres maladies parasitaires, également transmises par les tiques, dues à des agents pathogènes tels que A. marginale et Ehrlichia phagocytophila.
Changements et mesures de prévention
En général, les cas cliniques sont le résultat d’un déséquilibre entre l’hôte et les parasites. Le degré d’infestation par les tiques et en conséquence le taux d’inoculation augmentera à l’avenir, et ce en raison du développement du phénomène de résistance aux médicaments spécifiques et aux acaricides.
Pour remédier à ce problème il serait souhaitable de s’orienter vers la production de vaccins polyvalents (à base de Theileria, Babesia et Anaplasma) pouvant assurer une bonne protection du cheptel. Il serait également intéressant d’instaurer un système d’épidémiosurveillance efficace, permettant le contrôle ainsi qu’une gestion adéquate de la situation épidémiologique dans le pays.
Conclusion
Au Maroc, la situation épidémiologique est très complexe en raison d’une grande diversité géographique, climatique et écologique, et d’une grande variété des espèces de tiques et d’hôtes au niveau des fermes et sur le parcours.
D’autres facteurs contribuent également à la complexité de la situation:
- facteurs d’ordre social: l’analphabétisme en milieu rural (particulièrement chez les agriculteurs) constituent un handicap sérieux à la modernisation et à la rationalisation du mode d’élevage.
- facteurs liés à la situation sanitaire du cheptel: inexistence d’un système d’identification fiable permettant d’assurer la traçabilité des animaux et l’application des mesures de police sanitaire, mouvements non contrôlés des animaux, rares études épidémiologiques particulièrement sur les tiques et les maladies transmises par les tiques.
- contraintes socioprofessionnelles: faible niveau technique des éleveurs pour la conduite des troupeaux, organisations professionnelles limitées et non encore représentatives.
- contraintes d’ordre médical: le programme d’amélioration génétique a provoqué des changements majeurs dans le management et le statut immunitaire des animaux. Ceci s’est traduit par des taux importants de morbidité et de mortalité dus aux tiques et aux maladies transmises par les tiques (theilériose, babésiose et anaplasmose), entraînant une utilisation excessive et inappropriée des acaricides qui a provoqué une résistance accrue des tiques vis-à-vis de ces produits.
Le développement de la recherche épidémiologique est essentiel pour une bonne connaissance des maladies transmises par les tiques et une mise à jour des données ecoepidemiologiques collectées concernant la prédominance du parasite, sa séroprévalence et son incidence clinique, et ce dans les différents étages géographiques et climatiques du pays. Il serait également intéressant de définir le statut immunologique et parasitologique des troupeaux en relation avec les parasites concernés (T.annulata, Babesia sp. et A.marginale) afin de développer les outils appropriés pour entreprendre des mesures préventives d’importance pour la production et la gestion animales.