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jeudi, mars 28, 2024

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Le métayage dans l’agriculture irriguée de la plaine du Tadla: logiques des contrats et rémunérations des associés

Rémunérations des contractants

La rémunération de chacun des contractants correspond à sa part respective dans les produits issus des cultures et de l’élevage. Cette rémunération annuelle a été divisée par 12 pour déterminer un revenu mensuel et aussi par le nombre des membres de la famille du preneur qui travaillent dans l’exploitation. Au final, on peut assimiler la rémunération du preneur et des membres de sa famille associés au travail dans l’exploitation à une sorte de salaire mensuel par travailleur.

Le premier «cas type» est le seul qui présente une rémunération égale au salaire minimum agricole garanti (SMAG): 1 614 Dh. Pour les autres cas types, cette rémunération est largement inférieure puisqu’elle varie de 455 (cas type 4.3) à 857 Dh (cas type 3) par travailleur et par mois. Dans cinq «cas types» (2, 3, 4.1, 4.2 et 4.4), les rémunérations mensuelles par travailleur sont d’ailleurs très proches variant de 680 à 750 Dh.

Aussi, est-il remarquable qu’en dépit de la diversité des termes des contrats entre les différents «cas types» et les poids relatifs des les cultures et de l’élevage, les rémunérations mensuelles par travailleur dans la famille du preneur restent relativement similaires. Cela démontre qu’un savoir séculaire existe quant à l’établissement de ces termes de contrats de FVI, afin de concourir à des rémunérations sensiblement égales par unité de main-d’œuvre.
Néanmoins, même si la rémunération mensuelle par travailleur est souvent inférieure au SMAG, les preneurs s’engagent dans le cadre d’un contrat de FVI en raison de la stabilité du revenu garantie par l’association plutôt que la recherche en permanence d’un travail journalier, dans un contexte où un très fort sous-emploi caractérise le travail dans le monde agricole. Par ailleurs, le preneur et les membres de sa famille bénéficient d’un logement assuré par le propriétaire avec les avantages qui lui sont associés (eau et électricité). En outre, le preneur ou des membres de sa famille ont aussi la latitude de travailler à l’extérieur de l’exploitation une fois qu’il se sont acquitté de leurs tâches, ce qui leur octroie la possibilité d’améliorer leur revenu, surtout lors des périodes de pic d’activités agricoles (récolte des olives et de la betterave, fauchage de la luzerne, etc.).

Rémunération des capitaux

Le capital investi renseigne sur les moyens de production mobilisés dans chaque exploitation. Le premier cas type est de loin celui ayant le plus de moyens mobilisés, il en va de même pour sa capacité à rentabiliser le capital investi, grâce à des niveaux de performances supérieurs aux autres.

Les autres cas types peuvent être subdivisés en deux catégories. La première regroupe les exploitations dont le capital investi tourne autour d’un million de Dh (cas type 2, 3 et 4.3). La deuxième catégorie inclut les exploitations ayant un capital investi proche de 2 millions de DH (« cas type » 4.1, 4.2 et 4.4).

La partie majeure du capital investi dans tous les cas types est cependant représenté par du capital fixe (foncier et bâtiments) qui constitue près de 90 % du capital total.

En général, la rémunération du preneur représente moins de la moitié de la part du propriétaire, à l’exception des «cas types» 1 (exploitation très différente du reste par le capital investi) et 3. Ce dernier avait justement été défini lors de l’établissement de la typologie par l’appellation «Parts du preneur en croît animal et en lait très élevées». Le preneur prélève ainsi 20 (« cas type » 4.1) à 48 % («cas types» 4.1 et 4.4) de la rémunération totale du propriétaire. Ce ratio «Part du preneur/Part du propriétaire» semble dépendre de l’orientation de l’exploitation.

Ainsi, les exploitations qui réalisent une marge d’élevage supérieure à celle des cultures, permettent au preneur une rémunération qui augmente relativement à celle du propriétaire. Ainsi, selon ces résultats, le preneur aurait plus d’intérêt dans l’élevage par rapport aux cultures. Cette tendance est confirmée par plusieurs preneurs qui affirment que lors d’années à pluviosité favorable, l’élevage assure une plus-value plus intéressante que les cultures, surtout qu’au sortir d’une campagne agricole médiocre la valeur du cheptel initial (sur la base de laquelle sera déterminé le croît) est généralement sous-estimée.

Par ailleurs, certains propriétaires affirment qu’ils s’associent dans le cadre du FVI, pour sécuriser l’accès à une main-d’œuvre stable et ne pas avoir à chercher perpétuellement des ouvriers. Cela constitue une préoccupation majeure, en particulier pour la pratique des irrigations. En effet, l’eau du réseau parvient aux exploitations suivant un tour d’eau dressé par les autorités responsables de l’ORMVAT, et parfois les horaires des irrigations accordées aux exploitations sont programmées la nuit, ce qui nécessite de disposer de la main-d’œuvre pour exécuter cette tâche.

A cet égard, le contrat de FVI offre une souplesse évidente pour le propriétaire, à charge pour le preneur de se débrouiller pour que les cultures soient effectivement irriguées puisqu’il est associé à leurs résultats. D’autres propriétaires déclarent carrément acheter quelques vaches ou même des brebis pour inciter le preneur à accepter de s’associer dans le cadre d’un contrat de FVI. Certains propriétaires tolèrent même que le preneur amène un ou deux bovins qui lui appartiennent et qui seront alimentés gratuitement avec les animaux de l’exploitation, à partir des ressources fourragères endogènes. L’association dans un contrat de FVI permet aussi aux propriétaires l’occasion de disposer du gardiennage quasi gratuitement vu que le preneur vit dans l’exploitation, sans oublier l’absence de salaire hebdomadaire à débourser.

Les résultats obtenus au cours de ce travail attestent que l’élevage, principalement bovin laitier, en irrigué représente par ses deux types de produits (lait et croît) une source de revenu importante et stable. Cela est crucial pour le preneur qui profite des régularités de livraisons du lait comme source de revenus lui permettant de surmonter ses problèmes de trésorerie jusqu’à l’établissement des comptes annuels et la répartition de la marge finale avec son associé. En revanche, pour le propriétaire, surtout s’il est absentéiste, les cultures irriguées assurent un meilleur moyen de valoriser les investissements réalisés, tandis que l’élevage constituerait une sorte de mal nécessaire pour accéder à une main-d’œuvre stable, indispensable pour s’acquitter au mieux de la gestion au quotidien de l’exploitation.

Conclusion

Cette étude préliminaire du faire valoir indirect dans la plaine irriguée du Tadla confirme l’importante propagation de ce genre d’association. Ceci s’explique par la souplesse qu’il octroie aux parties contractantes, dans une conjoncture où une gestion efficace des risques est plus que cruciale pour la pérennité des activités.

Ainsi, le revenu quotidien permis par la production de lait fournit aux preneurs une garantie de disposer de liquidités pour faire face aux besoins de leur ménage, sans avoir à s’endetter constamment auprès de tiers. De même, pour les très nombreuses exploitations en indivision, l’établissement d’un contrat avec un preneur permet de responsabiliser entièrement ce dernier et d’éviter que les co-héritiers ne laissent leur capital en déshérence.

En effet, le preneur et les membres de sa famille, en acceptant de s’engager dans un contrat de FVI, endossent en grande partie la responsabilité de gérer l’exploitation, dans ses aspects les plus délicats, comme le gardiennage et les irrigations de nuit. En outre, le preneur se retrouve souvent en première ligne dans les prises de décision techniques du quotidien (opportunités de traitement des plantes, dosage des pesticides, durée des irrigations, rationnement des différents ateliers animaux, etc.) surtout lorsque le propriétaire est absentéiste. Il va sans dire que dans pareille situation, il assume une part fondamentale dans les performances des différentes spéculations en vigueur dans l’exploitation et donc sur leurs marges finales.

L’étude suggère que l’élevage permet au preneur une meilleure rémunération que les cultures, eu égard à la possibilité d’améliorer le croît suite à une année pluvieuse, où la valeur vénale initiale des animaux augmente du fait de leur renchérissement sur le marché. Cela suggère que dans l’étude des logiques des contrats, il faut non seulement considérer les résultats des spéculations et les termes de paiement des charges et de rémunération des associés, mais aussi les trajectoires qu’ils ont réalisées et qu’ils escomptent. Cela devrait donc donner lieu à davantage de travaux de recherche sur cette problématique du faire valoir indirect dans plus d’exploitations agricoles et dans des régions différentes. Il en va sûrement de la concrétisation des plans de développement de l’agriculture marocaine, qui ont tendance à ignorer la portée de pareils arrangements. Prenant acte de la vaste diffusion du faire valoir indirect, il s’impose de l’intégrer dans la réflexion sur les actions à mener pour concrétiser les objectifs d’amélioration des performances de l’agriculture nationale.

SRAÏRI Mohamed Taher et HAMMANI Youssef

Département des Productions et Biotechnologies Animales
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, B.P. 6202-Instituts, Rabat, Maroc

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