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vendredi, mars 29, 2024

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Prévenir la carence en fer au Maroc

Stratégies de lutte et de prévention contre la carence en fer

Au Maroc, les céréales constituent la base de l’alimentation humaine et apportent la part la plus importante en énergie. Ces céréales contribuent à la majorité de l’apport en fer alimentaire et par conséquent toute stratégie de lutte contre la carence en fer devrait prendre en considération l’amélioration de la biodisponibilité du fer alimentaire.

Les stratégies de lutte contre la carence en fer sont des actions qui peuvent être menées à court, à moyen et à long terme. Parmi ces stratégies:

La supplémentation en fer

Pour mener cette stratégie à court terme, la population cible doit être correctement identifiée. Cette population comprend surtout les femmes enceintes et celles allaitantes ainsi que les jeunes enfants. En général, la supplémentation en fer doit être pratiquée lorsque la demande en fer est accrue pour couvrir les pertes sanguines qui peuvent avoir lieu dans des cas pathologiques (présence de parasites par exemple) ou physiologiques (grossesse,…). Cette situation peut toucher non seulement des femmes et les enfants mais aussi les hommes vivant dans des conditions socio-économiques défavorables.

Dans ces conditions, la supplémentation doit être suffisante pour couvrir les besoins accrus en fer, tout en respectant le seuil de toxicité du fer. Pour ce qui est des suppléments à utiliser, le produit doit être testé pour assurer une biodisponibilité adéquate du fer. le sulfate ferreux est recommandé pour usage dans des programmes de santé publique. Des compléments de fer sous forme de comprimés devraient être consommées quotidiennement.

Des effets secondaires peuvent cependant se manifester lors de la supplémentation (vomissement, nausées, diarrhée ou constipation). Il est conseillé de mener des essais pilotes de supplémentation et de s’assurer de leur réussite avant d’entreprendre des actions à plus grande échelle.

La distribution des suppléments doit être suivie avec rigueur et le calcul de la dose à administrer doit être basée sur le besoin quotidien de l’individu. A titre d’exemple, pour la femme enceinte, la dose à prescrire a été évaluée à 12,5 mg de fer absorbable par jour, pour couvrir les besoins quotidiens en fer. Généralement, la supplémentation en fer est associée à celle de l’acide folique. Dans tous les cas, le changement de concentration de l’hémoglobine doit être observé entre le début et la fin de la supplémentation pour chaque individu.

L’enrichissement des aliments

L’enrichissement en fer d’un ou plusieurs aliments doit être pratiqué lorsque la carence en fer est la cause majeur de l’anémie. Cet enrichissement des aliments n’est pas une entreprise aisée. Il est nécessaire de recenser au préalable les aliments se prêtant le mieux à l’enrichissement.

Parmi ces aliments, les produits céréaliers, les condiments, le sel, le sucre, les boissons et les aliments de l’enfant constituent des véhicules importants. Cependant, l’infrastructure de production et de distribution alimentaire, ainsi que l’application et la supervision des additifs, ne doivent changer ni l’apparence, ni le goût des aliments et doivent être biodisponibles. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, l’enrichissement ferreux des céréales, des produits de boulangerie et des laits industriels pour enfants a quasiment éliminé le problème des carences en fer. Les additifs qui peuvent être utilisés incluent le sulfate ferreux, le citrate ferreux, le chlore ferrique et l’orthophosphate ferrique.

Dans le cas du Maroc, ainsi que dans d’autres pays dont l’alimentation est à base de céréales, la présence de phytates et de polyphénols dans les aliments réduit considérablement l’efficacité des produits d’enrichissement ferreux. Dans la pratique de l’enrichissement, d’autres mesures sont à entreprendre au niveau national. Parmi ces mesures:

– Etablissement ou renforcement du contrôle;
– Développement d’une méthodologie et des procédures pour tester l’efficacité du programme;
– Etude du coût des opérations;
– Evaluation du programme.

Autres stratégies

Amélioration des techniques de mouture des céréales

Etant donné que l’apport en fer des céréales est très important dans notre alimentation et que les céréales constituent une source majeure d’acide phytique, un inhibiteur potentiel de l’absorption du fer alimentaire, le rôle des industries alimentaires (minoteries) est de développer des techniques pratiques pour éliminer l’acide phytique des farines lors de la mouture des grains. Des techniques sont à envisager également afin de réduire la teneur en polyphénols dans les thés consommés afin d’empêcher leur pouvoir inhibiteur de l’absorption du fer.

Modification des habitudes alimentaires

Cette modification consiste à diversifier l’alimentation, à éviter la consommation du thé au moment des repas et à encourager la consommation d’aliments riches en acide ascorbique, un facteur favorisant l’absorption du fer, pendant les repas principaux.

D’autres mesures consistent à éviter la consommation du lait et des fromages avec les repas principaux, car ces aliments riches en protéines peuvent altérer l’absorption du fer alimentaire ou pharmaceutique.

La consommation des produits à base de céréales plus raffinées est à encourager. Dans ce cas, l’apport en fibres alimentaires essentielles doit être accompli par la consommation de légumes et de fruits frais.

Choix des variétés de culture riches en fer et/ou pauvres en acide phytique

Le choix des variétés et leur sélection a été suggéré comme une stratégie à long terme pour améliorer l’apport en fer des cultures de céréales et de légumineuses.

L’autre mesure consiste à choisir des variétés à teneur faible en acide phytique afin de promouvoir la biodisponibilité du fer alimentaire. Cependant, l’acide phytique est riche en phosphore indispensable à la croissance des plantes et dont le déficit entraîne une réduction de la production totale.

Information, communication et éducation nutritionnelle

Dans de nombreuses communautés, les aliments riches en fer sont sous consommés, surtout par les groupes les plus vulnérables, suite à un manque d’information, de communication et d’éducation nutritionnelle. Dans le cas du Maroc, la consommation de poisson et de légumineuses reste faible. Ces aliments contiennent des quantités appréciables de fer et sont riches en protéines.

En plus, l’éducation en matière de nutrition est indispensable afin de changer certaines habitudes alimentaires. A titre d’exemple, la consommation du thé au moment des repas entraîne une diminution de l’absorption du fer suite à la présence de tannins dans le thé. La stratégie consiste à inciter les populations à consommer du thé en dehors des repas car le thé constitue au Maroc une boisson de prestige ayant une valeur symbolique d’ordre social, rite d’alliance, d’amitié et d’hospitalité. En parallèle, il faudrait encourager la consommation d’une source d’acide ascorbique (agrumes, poivron) au moment des repas pour promouvoir l’absorption du fer alimentaire.

Il faudrait également sensibiliser les populations sur l’importance de la consommation de viandes et de poissons, car même en petite quantité, cette consommation peut entraîner un accroissement de l’assimilation du fer. Ceci est probablement plus pratiqué, surtout chez les enfants. pour ce faire, des mesures pratiques consistent à encourager l’implantation de jardins familiaux, de potagers domestiques et à introduire le petit élevage, surtout en milieu rural ou l’accès aux produits carnés est plus difficile.

Ainsi, l’éducation nutritionnelle est indispensable pour atteindre ces objectifs et améliorer l’état nutritionnel des populations surtout les plus pauvres.

Autres mesures de santé publique

En parallèle avec les interventions citées ci-dessus, les bonnes pratiques de l’hygiène et le contrôle régulier des maladies parasitaires, constituent des moyens efficaces pour réduire les risques de l’anémie par carence en fer. En effet, l’absence de mesures d’hygiène, par ignorance et par manque d’eau potable, favorise l’installation de maladies parasitaires, notamment chez les enfants les plus jeunes, ce qui peut entraîner des pertes sanguines importantes et accroître le besoin en fer.

Il est donc indispensable de renforcer les pratiques de l’hygiène au niveau communautaire.

Chez les plus jeunes, l’allaitement maternel doit être prévu afin d’améliorer la résistance aux infections, souvent plus fréquentes chez les jeunes enfants, ce qui entraînent des diarrhées, responsables de pertes considérables en nutriments en général et en micronutriments en particulier. La pratique de l’allaitement maternel permet de renforcer le système immunitaire chez l’enfant et par conséquent permet d’améliorer sa résistance aux maladies infectieuses quand elles s’installent. Malgré sa concentration faible dans le lait maternel, le fer de ce lait est disponible à l’absorption. Son taux d’absorption est de 5 à 10 fois supérieure à son taux à partir du lait de vache par exemple. L’absorption du fer du lait maternel peut atteindre 100%. L’introduction précoce d’autres aliments solides à base de légumes et de fruits dans l’alimentation infantile peut influencer négativement la biodisponibilité du fer du lait maternel. Cet effet peut être atténué par un apport adéquat en vitamine C sous forme de jus de fruit par exemple, au même moment que ces aliments semi-solides introduit dans l’alimentation de l’enfant.

Conclusion

La prévalence de l’anémie ferriprive est importante au Maroc. Des stratégies de prévention sont recommandées selon les populations cibles. Pour les femmes enceintes, la supplémentation en fer constitue une stratégie appropriée à court terme.

Pour la population infantile, la promotion de l’allaitement maternel, le renforcement des mesures hygiéniques et la lutte contre les maladies parasitaires sont des actions à entreprendre à moyen et à long terme. En plus, la fortification des aliments pour nourrissons (laits commercialisés) est à envisager.
La fortification d’un aliment de base semble être justifiée pour toucher toute la population. Etant donné la diversité des produits céréaliers consommés (source d’approvisionnement, forme de consommation…), il serait difficile de choisir une céréale comme véhicule pour la fortification. Au niveau national, la farine de blé tendre est retenue comme véhicule de fortification en fer. Le sucre peut aussi être recommandé comme support de la fortification en fer. Des essais pilotes devraient être menés avant d’entreprendre une telle action à grande échelle.

L’éducation nutritionnelle justifie sa place pour la lutte contre la carence en fer (carence martiale ou ferriprive). Cette éducation consiste à diffuser l’information concernant les sources du fer, l’effet inhibiteur de son absorption par le thé et l’acide phytique; et l’effet bénéfique que l’acide ascorbique, un élément favorisant l’assimilation du fer.

En plus, le choix des variétés de céréales et légumineuses riches en fer et/ou pauvre en acide physique constitue une mesure à adopter à long terme.

Prof. Larbi ALAOUI
Département des Sciences Alimentaires et Nutritionelles
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat

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