Crises alimentaires, hydriques et énergétiques, tragédies humaines entre 2023 et 2025 : une analyse approfondie signée par le Centre national américain de lutte contre la sécheresse et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.
Selon un rapport soutenu par les Nations Unies et publié aujourd’hui (02/07/2025), certaines sécheresses les plus importantes et dommageables de l’histoire ont eu lieu depuis 2023, sous l’effet des changements climatiques et de la pression continue exercée sur les terres et les ressources en eau.
Préparé par le Centre national américain de lutte contre la sécheresse (NDMC) et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), avec l’appui de l’Alliance internationale pour la résilience face à la sécheresse (IDRA), le rapport « Sécheresse 2023–2025 : zones critiques dans le monde – Trajectoires vers l’impact » offre un aperçu complet de la manière les sécheresses aggravent la pauvreté, la faim, la précarité énergétique et provoquent l’effondrement des écosystèmes.
« La sécheresse est un tueur silencieux. Elle s’installe insidieusement, épuise les ressources et détruit les vies lentement. Les cicatrices qu’elle laisse sont profondes », affirme Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la CNULCD.
« La sécheresse n’est plus une menace lointaine. Elle est là, elle s’intensifie et exige une coopération mondiale urgente. Quand énergie, nourriture et eau viennent à manquer en même temps, les sociétés vacillent. C’est la nouvelle réalité à laquelle il faut se préparer », ajoute-t-il.
« Ce n’est pas une simple vague de sécheresse », déclare Dr Mark Svoboda, co-auteur du rapport et directeur du NDMC. « C’est une catastrophe mondiale lente, la pire que je n’aie jamais observée. Ce rapport souligne l’urgence d’un suivi systématique des impacts de la sécheresse sur les vies humaines, les moyens de subsistance et les écosystèmes. »
« Les pays méditerranéens subissent les signes avant-coureurs des économies modernes », ajoute-t-il. « Les difficultés vécues par l’Espagne, le Maroc et la Turquie pour sécuriser l’eau, la nourriture et l’énergie sont un aperçu de notre avenir si le réchauffement climatique se poursuit sans contrôle. Aucun pays, quel que soit son niveau de richesse ou de préparation, ne peut se permettre l’inaction. »
Une crise d’ampleur mondiale
Le nouveau rapport synthétise des informations issues de centaines de sources gouvernementales, scientifiques et médiatiques afin de mettre en lumière les impacts les plus sévères dans les zones de sécheresse les plus critiques, notamment en Afrique (Somalie, Éthiopie, Zimbabwe, Zambie, Malawi, Botswana, Namibie), en Méditerranée (Espagne, Maroc, Turquie), en Amérique latine (Panama, bassin amazonien) et en Asie du Sud-Est.
Afrique
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Plus de 90 millions de personnes en Afrique de l’Est et australe sont confrontées à une faim aiguë. Certaines zones subissent leur pire sécheresse jamais enregistrée.
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L’Afrique australe, déjà sujette à la sécheresse, a été dévastée. En août 2024, environ un sixième de la population, soit 68 millions de personnes, avait besoin d’aide alimentaire.
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En Éthiopie, au Zimbabwe, en Zambie et au Malawi, les récoltes de maïs et de blé ont échoué à plusieurs reprises. Au Zimbabwe, la récolte de maïs de 2024 a chuté de soixante-dix pour cent par rapport à l’année précédente. Les prix du maïs ont doublé. Environ 9 000 têtes de bétail sont mortes de soif et de faim.
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En Somalie, le gouvernement estime que 43 000 personnes sont mortes en 2022 à cause de la faim liée à la sécheresse. Début 2025, 4,4 millions de personnes — soit un quart de la population — sont en situation d’insécurité alimentaire grave. Parmi elles, 784 000 devraient atteindre un niveau d’urgence.
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La Zambie a connu l’une des pires crises énergétiques au monde. En avril 2024, le fleuve Zambèze est tombé à vingt pour cent de sa moyenne à long terme. La principale centrale hydroélectrique du pays, le barrage de Kariba, est tombée à sept pour cent de sa capacité de production. Cela a entraîné des coupures de courant pouvant aller jusqu’à 21 heures par jour, et la fermeture d’hôpitaux, de boulangeries et d’usines.
Méditerranée
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Espagne : Les pénuries d’eau ont touché l’agriculture, le tourisme et l’approvisionnement domestique. En septembre 2023, deux années de sécheresse et une chaleur record ont entraîné une baisse de cinquante pour cent de la récolte d’olives. Les prix de l’huile d’olive ont doublé dans tout le pays.
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Maroc : En 2025, la population ovine était inférieure de trente-huit pour cent par rapport à 2016, ce qui a conduit à un appel royal pour annuler les sacrifices traditionnels de l’Aïd.
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Turquie : La sécheresse a accéléré l’épuisement des nappes phréatiques, provoquant l’apparition de dolines qui représentent un danger pour les communautés et leurs infrastructures, tout en réduisant de manière permanente la capacité de stockage des aquifères.
Amérique latine
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Bassin amazonien : Les rivières ont atteint leurs plus bas niveaux en 2023 et 2024, entraînant la mort massive de poissons et de dauphins menacés d’extinction. L’approvisionnement en eau potable et les transports ont été perturbés pour des centaines de milliers de personnes. Avec l’intensification de la déforestation et des incendies, l’Amazonie risque de passer du rôle de puits de carbone à celui de source de carbone.
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Canal de Panama : La baisse des niveaux d’eau a réduit le nombre de transits de plus d’un tiers — de trente-huit à vingt-quatre navires par jour entre octobre 2023 et janvier 2024 — perturbant gravement le commerce mondial. Face à des retards de plusieurs semaines, de nombreux navires ont été détournés vers des routes plus longues et coûteuses, via le canal de Suez ou le cap de Bonne-Espérance. Parmi les effets en chaîne : un ralentissement des exportations de soja des États-Unis et des pénuries, accompagnées d’une hausse des prix des fruits et légumes au Royaume-Uni.
Asie du Sud-Est
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La sécheresse a perturbé la production et les chaînes d’approvisionnement de cultures clés comme le riz, le café et le sucre. En 2023–2024, les conditions de sécheresse en Thaïlande et en Inde ont provoqué des pénuries, entraînant une hausse de huit virgule neuf pour cent du prix du sucre et des produits sucrés aux États-Unis.
Leçons et recommandations
Le rapport appelle à des investissements urgents dans la préparation à la sécheresse, notamment :
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Le renforcement des systèmes d’alerte précoce et de la surveillance en temps réel de la sécheresse et de ses impacts, y compris les conditions favorisant l’insécurité alimentaire et hydrique.
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Le recours à des solutions fondées sur la nature, telles que la restauration des bassins versants et l’utilisation de cultures indigènes.
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Le développement d’infrastructures résilientes, incluant des systèmes énergétiques décentralisés et des technologies d’approvisionnement alternatif en eau.
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Une adaptation sensible au genre, pour éviter que les femmes et les filles ne soient davantage marginalisées.
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Une coopération internationale renforcée, notamment pour la protection des bassins fluviaux transfrontaliers et des routes commerciales.
« La sécheresse n’est pas qu’un phénomène météorologique – elle peut devenir une urgence sociale, économique et environnementale », ajoute Dr Smith.
« La question n’est pas de savoir si cela se reproduira, mais si nous serons mieux préparés la prochaine fois. »
« La sécheresse touche de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables. Nous pouvons agir dès maintenant pour en atténuer les effets futurs, en garantissant à chacun l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’éducation, aux soins de santé et à des moyens de subsistance », ajoute-t-elle.
« Les nations du monde disposent des ressources et des connaissances nécessaires pour éviter de nombreuses souffrances », conclut la Dre Smith.
« La véritable question est : en avons-nous la volonté ? »
Déclarations de l’IDRA
La troisième vice-présidente et ministre de la transition écologique et du défi démographique d’Espagne, Sara Aagesen, a souligné le travail de l’IDRA, l’alliance coprésidée par le Sénégal et l’Espagne, qui vise à mobiliser le capital politique, technique et financier en faveur de la résilience à la sécheresse, en particulier parmi les populations les plus vulnérables et les plus touchées : « Lors de la conférence internationale sur le financement du développement à Séville, nous appelons à une mobilisation accrue des ressources financières. Nous opérons dans un contexte complexe, avec des ressources limitées, des urgences multiples et de nombreuses priorités concurrentes, ce qui signifie que nous devons agir de manière stratégique et collaborative. »
Le Ministre de l’environnement et de la transition écologique du Sénégal et co-président de l’IDRA, le professeur Daouda Ngom, déclare : « La sécheresse, sous toutes ses formes, est un défi mondial qui appelle des réponses communes. Le renforcement des capacités des communautés, des pays et des régions doit être au cœur de la coopération internationale, afin de garantir un développement équitable et durable. N’oublions pas qu’investir dans la résilience à la sécheresse, c’est aussi faire un pas décisif vers plus de justice climatique. »
À propos du rapport
Le Centre national de lutte contre la sécheresse (NDMC) de l’Université du Nebraska–Lincoln et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) ont cherché à documenter de manière exhaustive les impacts récents de la sécheresse afin d’éclairer les politiques mondiales et de mieux préparer les sociétés aux sécheresses futures.
Le rapport s’appuie sur plus de 250 études scientifiques évaluées par des pairs, des sources de données officielles et des articles de presse couvrant plus d’une douzaine de pays et régions.
Chiffres clés :
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68 millions : personnes ayant besoin d’aide alimentaire en Afrique australe
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23 millions : personnes confrontées à une faim aiguë en Afrique de l’Est
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70 pour cent : perte de la récolte de maïs au Zimbabwe (2024)
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Jusqu’à 21 heures par jour : coupures de courant en Zambie
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Plus de 200 : dauphins fluviaux menacés morts de chaleur en Amazonie (septembre 2023)
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38 : transits quotidiens au canal de Panama avant la sécheresse ; vingt-quatre pendant la sécheresse
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50 pour cent : chute de la production d’huile d’olive en Espagne
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Plus d’un million : personnes déplacées en Somalie en 2022 à cause de la sécheresse
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4,4 millions : personnes en situation de faim critique (début 2025)
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1,7 million : enfants souffrant de malnutrition aiguë (avril–juin 2025)
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70 pour cent : baisse du débit des chutes Victoria par rapport à 2023 (côté Zambie, 2024)
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Plus de 100 : éléphants morts de sécheresse dans le parc de Hwange, Zimbabwe
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Plus de 1 600 : dolines recensées en Turquie en raison de l’épuisement des nappes phréatiques
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Presque doublé : prix du maïs en Zambie
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22,84 milliards d’euros : investissements de l’Espagne dans l’irrigation et les infrastructures hydrauliques
A propos de la CNULCD
La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) est la vision et la voix mondiales de la terre. Nous unissons les gouvernements, les scientifiques, les décideurs, le secteur privé et les communautés autour d’une vision commune et d’une action mondiale pour restaurer et gérer les terres du monde pour la sauvegarde de l’humanité et de la planète. Bien plus qu’un traité international signé par 197 parties, la Convention sur la lutte contre la désertification est un engagement multilatéral visant à atténuer les effets actuels de la dégradation des terres et à faire évoluer la gestion des terres de demain afin de fournir de la nourriture, de l’eau, des logements et des opportunités économiques à tous les peuples de manière équitable et inclusive.
À propos de l’IDRA
L’International Drought Resilience Alliance (IDRA) est la première coalition mondiale créant un élan politique et mobilisant des ressources financières et techniques pour un avenir résilient à la sécheresse. En tant que plateforme croissante de plus de 30 pays et 20 institutions, l’IDRA puise dans les forces collectives de ses membres pour faire avancer les politiques, les actions et le renforcement des capacités en matière de préparation à la sécheresse, en reconnaissant que nous ne sommes aussi résilients à la sécheresse et au changement climatique que nos terres. Le travail de l’IDRA est aligné avec et soutient le mandat de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), qui héberge le secrétariat de l’IDRA.
Drought Hotspots Around the World 2023-2025